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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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détracteurs d’aujourd’hui. Admettons que ce programme eût été applicable, bien établi, et qu’Alexandre I er l’eût suivi. Que serait-il advenu de l’activité de tous les gens qui s’opposaient alors à la direction prise par le gouvernement – activité qui, d’après les opinions des historiens, était bonne et utile ? Elle n’aurait pas existé ; il n’y aurait pas eu de vie ; il n’y aurait rien eu.
    Admettre que la vie de l’humanité puisse être dirigée par la raison, c’est nier toute possibilité de vie.

II
    Admettre, comme le font les historiens, que les grands hommes conduisent l’humanité vers la réalisation de buts bien connus – que ce soit la grandeur de la Russie ou celle de la France, ou l’équilibre de l’Europe, ou le progrès universel, ou n’importe quoi d’autre – rend impossible d’expliquer les événements de l’histoire sans faire appel aux concepts de HASARD et de GÉNIE.
    Si le but des guerres européennes au commencement de notre siècle était la grandeur de la Russie, ce but pouvait être atteint sans aucune des guerres qui ont précédé l’invasion, et sans l’invasion elle-même. Si ce but était la grandeur de la France, il pouvait être atteint sans la Révolution et sans l’Empire. Si ce but était la propagation de certaines idées, l’imprimerie l’aurait rempli beaucoup mieux que les soldats. Si ce but était le progrès de la civilisation, on admettra sans aucune difficulté qu’il est des moyens plus efficaces de répandre la civilisation que celui qui consiste à anéantir les hommes et leurs richesses.
    Pourquoi donc les choses se sont-elles passées ainsi et non pas autrement ? Parce qu’elles se sont passées ainsi.
    « Le HASARD a créé telle situation : le GÉNIE s’en est servi », dit l’histoire. Mais qu’est-ce que le HASARD ? Qu’est-ce que le GÉNIE ?
    Les mots HASARD et GÉNIE ne signifient rien qui soit réellement existant, aussi ne peuvent-ils être définis. Ces mots ne désignent qu’un degré déterminé dans la compréhension des phénomènes ; je ne sais pas pourquoi tel ou tel phénomène se produit ; je pense que je ne peux pas le savoir ; par suite, je ne veux pas le savoir et je dis : HASARD. Je vois une force produisant un effet hors de proportion avec les capacités communes des hommes ; je ne comprends pas pourquoi cela se produit et je dis : GÉNIE.
    Pour le troupeau, le mouton que chaque soir le berger mène dans un enclos spécial afin d’être nourri à part, et qui devient deux fois plus gros que les autres, doit paraître un génie. Et le fait que chaque soir ce soit toujours le même mouton qui, au lieu d’entrer dans la bergerie, passe dans un enclos spécial pour recevoir sa ration d’avoine, le fait que ce soit celui-là précisément qui, une fois gras à lard, est tué pour sa viande, ce fait doit apparaître comme une étonnante conjonction du génie et de toute une série de hasards extraordinaires.
    Mais il suffit aux moutons de cesser de penser que ce qui leur arrive provient de ce qu’ils ont à atteindre des buts dévolus à la gent moutonnière ; il leur suffit d’admettre que tout ceci peut avoir un but qui leur est inconnu et aussitôt ils verront unité et suite logique dans ce qui arrive à l’un des leurs mis à l’engrais. S’ils ne savent pas dans quel but le mouton a été engraissé, ils sauront au moins que tout ce qui lui est arrivé ne s’est pas produit sans raison, et ils n’auront plus désormais besoin de recourir au HASARD ou au GÉNIE.
    C’est seulement en renonçant à connaître le but proche et compréhensible, et en avouant que le but final nous est inaccessible, que nous verrons une suite logique dans la vie des personnages historiques : c’est alors que nous découvrirons la raison de la disproportion qui existe entre leurs actes et la capacité d’action commune à tous les hommes, et que nous n’aurons plus besoin des mots HASARD et GÉNIE.
    Il suffit d’admettre que le but de l’agitation des peuples de l’Europe nous est inconnu, que nous ne connaissons que des faits consistant en tueries, d’abord en France, puis en Italie, en Afrique, en Prusse, en Autriche, en Espagne, en Russie, et que les mouvements de l’Occident vers l’Orient et de l’Orient vers l’Occident constituent l’essence et le but de ces événements, alors non seulement nous n’aurons plus besoin de voir rien d’exceptionnel et de génial dans

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