La jeune fille à la perle
bébé. Il ne fut pas aisé d’empêcher les benja mines de se sauver au marché. Je les y aurais
volon tiers emmenées, mais je n’osai laisser la maison vide. Nous nous
contentâmes donc de regarder les chalands passer sur le canal. Chargés de
choux, de porcs, de fleurs, de bois, de farine, de fraises ou de fers à cheval
lorsqu’ils se rendaient au marché, ils étaient vides au retour, les bateliers
pouvaient ainsi compter leur argent et boire tout à loisir. J’appris aux
fillettes des jeux auxquels je jouais avec Agnès et Frans, elles m’en apprirent
d’autres de leur invention. Elles firent des bulles de savon, jouèrent à la
poupée, coururent après leurs cerceaux tandis que j’étais assise sur le banc
avec Johannes sur mes genoux.
Cornelia semblait avoir oublié
l’incident de la gifle. Elle se montra enjouée, aimable, elle me fut d’un grand
secours avec Johannes et m’obéit. « Voulez-vous m’aider ? » me
demanda-t-elle en essayant de grimper sur un tonneau abandonné dans la rue par
les voisins. Elle me regardait de ses yeux noisette aussi grands qu’innocents.
Je m’aperçus que je cédais à sa douceur, tout en sachant que je ne pouvais lui
faire vraiment confiance. La plus intéressante des quatre soeurs, elle était
aussi la plus changeante, bref, la meilleure et la pire… Elles triaient leur
collection de coquillages en des tas de différentes couleurs, quand il sortit
de la maison. Je serrai très fort le bébé, je pouvais sentir ses côtes fragiles
sous mes doigts. Il poussa un cri, j’enfouis mon nez contre son oreille pour
cacher mon visage.
« Oh !
papa ! Je peux aller avec vous ? » supplia Cornelia, bondissant pour attraper sa main. Je ne
pouvais voir l’expression de son visage : l’inclinaison de sa tête et le
bord de son chapeau me la cachaient.
Lisbeth et Aleydis laissèrent
là leurs coquillages. « Moi
aussi ! » s’écrièrent-elles à l’unisson, en saisis sant son
autre main.
Il secoua la tête, j’entrevis
son expression amusée. « Pas aujourd’hui, car je vais chez l’apothicaire.
— Vous allez chercher des
fournitures pour peindre, papa ? s’enquit Cornelia, toujours accrochée à
sa main.
— Entre autres. »
Entendant pleurer le jeune
Johannes, il me regarda. Gênée, je fis sauter le bébé dans mes bras.
Il semblait vouloir me dire
quelque chose, mais au lieu de cela il se débarrassa des filles et s’en alla
sur l’Oude Langendijck.
Il ne m’avait pas adressé la
parole depuis notre discussion sur la couleur et la forme des légumes.
*
Je m’éveillai de très bonne
heure ce dimanche, impatiente de rentrer chez nous. Il me fallut attendre que
Catharina déverrouille la porte d’entrée. Entendant qu’on l’ouvrait, je sortis
dans le couloir et trouvai Maria Thins la clef à la main.
« Ma fille est fatiguée
aujourd’hui, me dit-elle en se rangeant sur le côté pour me laisser passer.
Elle va se reposer quelques jours. Peux-tu te débrouiller sans elle ?
— Bien sûr, Madame »,
répondis-je, non sans préciser : « Et j’irai vous trouver si j’ai des
questions. »
Maria Thins se mit à rire.
« Ah çà ! on peut dire que tu es une petite finaude, ma fille. Tu
sais prendre le vent, toi. Qu’importe, un peu d’astuce peut toujours servir par
ici. » Elle me tendit quelques pièces de monnaie, mes gages pour les jours
où j’avais travaillé. « Ça y est, te voilà partie, tu vas pouvoir raconter
à ta mère des tas d’histoires sur nous. »
Je m’échappai avant qu’elle
n’en rajoute, traversai la place du Marché, croisant les fidèles qui se
rendaient aux services du petit matin à la Nouvelle-Église. Je me dépêchai le
long des canaux qui menaient chez nous. Je tournai dans ma rue, qui me parut
toute différente après moins d’une semaine d’absence. La lumière semblait plus
vive, moins nuancée, le canal plus large. Les platanes qui le bordaient se
tenaient parfaitement immobiles, telles des sentinelles me faisant la haie
d’honneur.
Agnès était assise sur le banc
devant notre maison. En m’apercevant, elle se précipita dans la maison en
criant : « Elle est ici ! » Elle courut ensuite au-devant
de moi et me prit par le bras. « Alors, comment c’est là-bas ? me
demanda-t-elle sans même prendre le temps de me dire bonjour. Ils sont gentils
avec toi ? Tu as beaucoup de travail ? Il y a des filles ? La
maison est très grande ? Où dors-tu ?
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