La jeune fille à la perle
ne
prévoit pas de nourrir elle-même son bébé ? demandai-je bêtement.
— Elle ne pourrait pas
avoir autant d’enfants si elle les nourrissait elle-même. Ça vous empêche d’en
avoir, tu sais, si tu leur donnes le sein.
— Oh ! m’exclamai-je,
percevant mon ignorance en la matière. Elle veut d’autres enfants ? »
Tanneke partit d’un petit rire.
« Je me demande parfois si elle ne remplit pas la maison d’enfants pour la
seule raison qu’elle ne peut pas la remplir d’autant de domestiques qu’elle le
voudrait. » Elle baissa la voix. « Notre maître ne peint pas assez
pour qu’ils puissent s’offrir des servantes, vois-tu. Il peint, en général,
trois tableaux par an. Parfois juste deux. C’est pas comme ça qu’on s’enrichit.
— Il ne peut pas peindre
plus vite que ça ? » Je savais, tout en disant ces mots, que cela lui
était impossible. Il peindrait toujours à son rythme.
« Parfois, Madame et la
jeune maîtresse ne sont pas d’accord. La jeune maîtresse voudrait qu’il peigne
davantage, mais ma maîtresse dit qu’aller plus vite serait sa fin.
— Maria Thins est une
femme pleine de sagesse. »
J’avais appris que je pouvais
dire ce que je pensais devant Tanneke du moment que c’était à la louange de
Maria Thins. Tanneke était d’une loyauté à toute épreuve envers sa maîtresse.
En revanche, elle se montrait peu patiente à l’égard de Catharina, et, les
jours où elle était de bonne humeur, elle me donnait des conseils.
« Ne t’inquiète pas de ce
qu’elle te dit, me recommanda-t-elle. Ne laisse rien paraître de ce que tu
penses quand elle te parle, puis fais comme bon te semblera, ou comme ma
maîtresse ou moi te dirons de faire. Elle ne vérifie jamais rien, elle ne
remarque jamais rien. Elle se contente de nous donner des ordres parce qu’elle
sent qu’il le faut, mais nous savons qui est notre véritable maîtresse et elle
le sait aussi. »
Tanneke était souvent mal
disposée à mon égard, mais j’avais appris à ne pas prendre cela trop à coeur,
car ses bouderies ne duraient jamais longtemps. Elle était d’humeur volage,
sans doute à force d’être prise entre Catharina et Maria Thins depuis tant
d’années. Elle avait beau me recommander sur un ton péremptoire d’ignorer ce
que disait Catharina, elle-même ne donnait pas l’exemple. Le ton dur de
Catharina l’atteignait et, si fidèle fût-elle envers Maria Thins, cette
dernière ne prenait pas sa défense. Pas une seule fois je n’entendis Maria
Thins réprimander sa fille pour quelque motif que ce fût. Dieu sait pourtant si
Catharina en aurait eu parfois besoin.
Restait la façon dont Tanneke
s’acquittait de ses tâches ménagères. Sans doute sa fidélité compensait-elle sa
négligence, tous ces coins et recoins oubliés par la serpillière, la viande
brûlée sur le dessus mais crue à l’intérieur, les casseroles mal récurées. Je
ne pouvais imaginer les dégâts qu’elle avait dû causer le jour où elle avait
essayé de nettoyer son atelier. Il était rare que Maria Thins adressât des
reproches à Tanneke, mais elles savaient l’une et l’autre qu’elle le devrait,
aussi Tanneke était-elle méfiante et sur la défensive.
Il devint évident pour moi
qu’en dépit de sa clairvoyance Maria Thins se montrait indulgente pour ses
proches. Son jugement n’était pas aussi dur qu’on aurait pu le croire. Des
quatre fillettes, Cornelia était la plus imprévisible, elle me l’avait prouvé
dès le premier matin. Lisbeth et Aleydis étaient des enfants gentilles et
tranquilles, quant à Maertge elle était en âge de commencer à apprendre son
rôle de jeune fille de la maison, ce qui l’apaisait, même s’il lui arrivait de
m’injurier tout comme sa mère, Cornelia n’injuriait pas, mais elle était
parfois indomptable. La menacer des foudres de Maria Thins, stratagème auquel
j’avais eu recours le premier jour, n’était pas toujours efficace. Elle pouvait
être drôle et espiègle un moment, puis agressive quelques instants plus tard,
comme le chat qui ronronne mord quelquefois la main qui le caresse. Loyale
envers ses soeurs, elle n’hésitait pas à les faire pleurer en les pinçant de
toutes ses forces. Je me méfiais de Cornelia et ne parvenais pas à avoir pour
elle l’affection que j’éprouvais pour ses soeurs.
Le ménage de l’atelier était
pour moi une évasion. Maria Thins m’ouvrait la porte et restait parfois
quelques
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