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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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située dans le débarras près de l’atelier. Je n’y étais jamais allée.
C’était une petite pièce, logée sous un toit en forte pente, une fenêtre
l’éclairait et offrait une vue de la Nouvelle-Église. Il n’y avait pas
grand-chose là-haut, hormis un bahut et une table en pierre au centre évidé
formant un creuset où reposait un oeuf en pierre dont une extrémité était
tronquée. J’avais vu une table de ce genre à la faïencerie de mon père. Il y
avait aussi des récipients, des bassines, des assiettes en terre cuite et des
pincettes à côté de la minuscule cheminée.
    « J’aimerais que vous
broyiez certains ingrédients pour moi, Griet », dit-il. Il ouvrit un
tiroir du bahut et en sortit un bâtonnet noir, de la taille de mon petit doigt.
« Voici un morceau d’ivoire carbonisé, expliqua-t-il. On s’en sert pour
préparer la peinture noire. »
    Il le fit tomber dans la partie
creuse de la table, ajoutant une substance gluante qui avait une odeur animale.
Là-dessus, il prit l’oeuf en pierre, qu’il appela un pilon, me montra comment le
tenir et comment me pencher au-dessus de la table et faire porter tout mon poids
sur la pierre afin de broyer l’os. Au bout de quelques minutes, il l’avait
réduit en une pâte très fine.
    « À votre tour. » Il
récupéra la pâte noire dans un petit pot et sortit un autre morceau d’ivoire.
Armée du pilon, j’essayai d’imiter sa position et me penchai au-dessus de la
table.
    « Non, votre main doit
faire ça. » Il posa sa main sur la mienne. Ce simple contact causa en moi
une telle émotion que je lâchai le pilon qui alla rouler sur la table et tomba
par terre.
    Je fis un bond en arrière et me
baissai pour ramasser le pilon. « Je vous demande pardon, Monsieur »,
bredouillai-je, en remettant le pilon dans le creuset.
    Il n’essaya pas de me toucher à
nouveau.
    « Avancez un peu votre
main, se contenta-t-il de m’ordonner. Comme ça. Maintenant, servez-vous de
votre épaule pour tourner et de votre poignet pour terminer. »
    Il me fallut beaucoup de temps
pour broyer mon morceau tant à cause de ma maladresse que de l’émoi qu’avait
suscité en moi le contact de sa main sur la mienne. Ajoutez à cela que j’étais
plus petite que lui et n’étais pas encore habituée à ce mouvement. Une chose
sûre, j’avais acquis des bras robustes à force d’essorer le linge.
    « Un peu plus fin »,
suggéra-t-il en inspectant le creuset. Il me fallut continuer à broyer quelques
minutes avant qu’il s’estime satisfait, il me fit alors frotter la pâte sur mes
doigts pour me montrer la texture qu’il recherchait. Il posa ensuite d’autres
fragments d’os sur la table. « Demain, je vous apprendrai à broyer du
blanc de céruse. C’est beaucoup plus facile que l’os. »
    Je contemplai l’ivoire.
    « Que se passe-t-il,
Griet, vous n’avez tout de même pas peur de ces malheureux os ? Ils ne
sont pas différents du peigne en écaille avec lequel vous vous coiffez. »
    Je ne serais jamais assez riche
pour posséder un peigne en écaille, je me servais de mes doigts pour me
peigner.
    « Ce n’est pas ça,
Monsieur. » J’avais pu jusqu’ici lui rendre les services qu’il m’avait
demandés en profitant du ménage ou des courses, et personne, à l’exception de
Cornelia, n’en avait rien soupçonné. Broyer les ingrédients nécessaires à ses
couleurs prendrait toutefois du temps, et le mien était limité au ménage de
l’atelier. Je ne pourrais pas non plus expliquer aux autres pourquoi il me
fallait parfois monter au grenier et laisser là mes autres tâches. « Il me
faudra du temps pour broyer ça, répondis-je d’une voix timide.
    — Quand vous en aurez
l’habitude cela vous prendra moins de temps qu’aujourd’hui. »
    Je détestais lui poser des
questions ou lui désobéir, c’était mon maître. Je redoutais toutefois la colère
des autres femmes de la maison. « Je dois aller chez le boucher et ensuite
j’ai du repassage, Monsieur. Pour ma maîtresse. »
    Une réaction peu obligeante…
    Il ne bougea pas. « Chez
le boucher ? » Il fronça les sourcils.
    « Oui, Monsieur. Madame
voudra savoir pourquoi je ne peux pas accomplir mes autres tâches. Elle voudra
savoir que je vous aide à l’atelier, ça ne m’est pas facile de monter sans
raison. »
    Un long silence s’ensuivit. La
tour de la Nouvelle-Église sonna sept coups.
    « Je vois, murmura-t-il
après le dernier coup.

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