La jeune fille à la perle
Laissez-moi réfléchir. » Il retira quelques
morceaux d’ivoire, les remit dans un tiroir. « Broyez cela
maintenant. » Il m’indiqua du doigt ce qui restait. « Voilà qui ne
devrait pas vous prendre longtemps. Quand vous aurez terminé, laissez-le
ici. »
Il devrait parler à Catharina
et l’informer de mon travail, il me serait alors plus aisé d’accomplir de
menues besognes pour lui.
J’attendis ; il ne parla
pas à Catharina.
*
Si étonnant que cela pût
paraître, le problème des couleurs fut résolu grâce à Tanneke. Depuis la
naissance de Franciscus, la nourrice dormait, en compagnie de Tanneke, dans la
salle de la Crucifixion, d’où il lui était aisé de se rendre dans la grande
salle pour nourrir le bébé quand il se réveillait. Bien que Catharina ne lui
donnât pas le sein, elle insistait pour que Franciscus dormît dans un berceau à
côté d’elle. Je trouvai cela étrange, mais quand je finis par mieux connaître
Catharina, je compris qu’elle voulait sauver les apparences de la bonne mère de
famille sans pour autant s’épuiser aux tâches qu’exige la maternité.
Tanneke n’appréciait pas de
partager sa chambre avec la nourrice. Elle se plaignait que la nourrice se
levait trop souvent pour s’occuper du bébé et qu’elle ronflait. Elle racontait
cela à tout le monde, qu’on l’écoute ou non. Elle commença à se montrer
négligente dans son travail, par manque de sommeil, prétendait-elle. Maria
Thins lui répondit qu’on ne pouvait rien y faire, mais Tanneke continua à
marmonner. Elle me regardait souvent d’un oeil noir. Avant mon arrivée dans la
maison, sitôt qu’on avait besoin d’une nourrice, Tanneke dormait là où je
dormais, c’est-à-dire dans la cave. On aurait presque cru qu’elle me reprochait
les ronflements de la nourrice.
Un soir, elle en vint à
supplier Catharina. Catharina se préparait pour se rendre, en dépit du froid, à
une soirée chez les Van Ruijven. Elle était de bonne humeur, porter son collier
de perles et son corselet jaune la rendait toujours heureuse. Elle avait
accroché à son mantelet jaune un grand col de lin blanc qui couvrait ses
épaules et protégeait l’étoffe tandis qu’elle se poudrait le visage. Alors que
Tanneke débitait ses doléances, Catharina continuait à se poudrer, un miroir à
la main pour examiner le résultat. Elle avait orné ses cheveux de galons et de
rubans, et, en ce moment de bonheur, elle était très belle, ses cheveux blonds
et ses yeux noisette lui donnant un air légèrement exotique.
Elle finit par agiter la
houppette sous le nez de Tanneke. « Arrêtez ! s’écria-t-elle en
riant. Nous avons besoin de la nourrice et elle doit dormir près de moi. Il n’y
a pas de place dans la chambre des filles, mais il y en a dans la vôtre, c’est
pour ça qu’elle y dort. Il n’y a pas d’autre solution. Pourquoi m’ennuyez-vous
à ce sujet ?
— Peut-être qu’il y aurait
une solution », dit-il. Je levai la tête du placard où je cherchais un
tablier pour Lisbeth. Il se tenait sur le seuil de la porte. Catharina regarda
son mari, étonnée. Il était rare qu’il s’intéressât aux affaires domestiques. « Mettez
un lit dans le grenier et faites-y dormir quelqu’un. Peut-être Griet.
— Griet au grenier ?
Pourquoi ? s’exclama Cornelia.
— Ainsi Tanneke pourra
dormir dans la cave, comme elle le souhaite, expliqua-t-il doucement.
— Mais… » Catharina
s’arrêta, troublée. De prime abord, l’idée ne lui plaisait pas, mais elle
n’aurait su dire pourquoi.
« Oh ! oui, Madame,
s’empressa d’insister Tanneke, ça aidera, pour sûr. » Elle jeta un coup
d’oeil dans ma direction.
Je feignis d’être occupée à
replier les vêtements des enfants, bien qu’ils fussent déjà rangés avec soin.
« Et la clef de
l’atelier ? » Catharina avait enfin trouvé une objection. L’échelle,
qui était rangée dans le débarras de l’atelier, était la seule façon d’accéder
au grenier. Pour aller me coucher, il me faudrait passer par l’atelier qui, la
nuit, était fermé à clef. « On ne peut donner la clef à une servante.
— Elle n’aura pas besoin
de clef, répliqua-t-il. Vous n’aurez qu’à fermer la porte de l’atelier une fois
qu’elle est montée se coucher et, le matin, elle pourra y faire le ménage avant
que vous veniez ouvrir la porte. »
Je cessai de replier les
vêtements des enfants. L’idée d’être
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