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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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pas toujours aussi
facile de lui rendre sa bonne humeur. Les dimanches passés avec ma famille
étaient devenus si pénibles que je commençais à souhaiter la présence de Pieter
fils à nos repas. Il devait avoir remarqué les regards inquiets que me jetait
ma mère, les commentaires acerbes de mon père, nos silences pesants, si rares
entre parents et enfant. Pieter ne se permettait aucune remarque à leur sujet.
Je ne le voyais jamais ni sourciller ni écarquiller les yeux, mais, à
l’occasion, il n’hésitait pas à dire ce qu’il avait à dire. Il taquinait
gentiment mon père, flattait ma mère, me souriait.
    Il s’abstenait de me demander
pourquoi je sentais l’huile de lin. Il ne semblait pas se soucier de ce que je
pouvais lui dissimuler. Il avait décidé de me faire confiance.
    C’était un bon garçon.
    Cependant, je ne pouvais
m’empêcher de regarder chaque fois ses mains pour voir s’il avait du sang sous
les ongles.
    Il devrait les tremper dans de
l’eau salée, pensais-je. Un jour je le lui dirais.
    Si bon garçon fût-il, il
commençait à s’impatienter. Le dimanche, dans la ruelle menant au canal de
Rietveld, je sentais sa fièvre, même s’il ne disait rien. Il serrait mes
cuisses plus fort que nécessaire, pressait sa paume contre mon dos, me plaquant
contre son bas-ventre dont je percevais le renflement sous les nombreuses
épaisseurs de tissu. Il faisait si froid que nos caresses n’effleuraient pas
nos peaux, elles en restaient aux plis et replis de la laine, aux contours
imprécis de nos membres.
    Les cajoleries de Pieter ne
m’inspiraient pas toujours du dégoût. Parfois, quand je regardais le ciel
par-dessus son épaule et trouvais dans les nuages des couleurs autres que le
blanc, ou que je m’imaginais en train de broyer du blanc de céruse ou du
massicot, j’éprouvais comme une sensation de chaleur dans mes seins et dans mon
ventre. Je me pressais alors contre lui. Il appréciait toute réaction de ma
part. Il ne remarquait pas que j’évitais de regarder son visage et ses mains.
    Au soir de ce fameux dimanche
aux relents d’huile de lin, où j’avais vu mes parents si intrigués et si
malheureux, Pieter m’emmena dans la ruelle. Là, il se mit à me tâter les seins
et à me pincer les mamelons à travers ma robe. Soudain, il s’interrompit, me
lança un regard espiègle, passa ses mains sur mes épaules, puis le long de mon
cou. Je n’eus pas le temps de réagir que ses doigts se glissaient déjà sous ma
coiffe et dans mes cheveux.
    Je retins ma coiffe de mes deux
mains.
    « Non ! »
    Pieter me sourit, ses yeux
brillaient comme s’il avait regardé trop longtemps le soleil. Il avait réussi à
dégager une de mes mèches et tirait dessus.
    « Très bientôt, je te
verrai tout entière, Griet. Tu cesseras d’être un secret pour moi. »
    Laissant tomber la main sur mon
bas-ventre, il se colla contre moi.
    « Le mois prochain, tu
auras dix-huit ans, alors, je parlerai à ton père. »
    Je reculai de quelques pas.
J’avais l’impression de me trouver dans une pièce obscure, surchauffée,
étouffante.
    « Je suis encore très
jeune. Trop jeune pour ça. »
    Pieter haussa les épaules.
    « Toutes les filles
n’attendent pas d’être plus âgées. Et puis, ta famille a besoin de moi. »
    C’était la première fois qu’il
mentionnait la pauvreté de mes parents, leur dépendance vis-à-vis de lui, une
dépendance qui devenait aussi la mienne. À cause d’elle, mon père et ma mère ne
voyaient pas d’inconvénient à accepter la viande qu’il leur offrait et à me
laisser traîner avec lui dans une ruelle le dimanche.
    Je fronçai les sourcils. Qu’il
me rappelât que nous étions ses obligés me contrariait.
    Pieter sentit qu’il avait
commis un impair. Pour se faire pardonner, il remit ma mèche sous ma coiffe,
puis il me caressa la joue.
    « Je te rendrai heureuse,
Griet, tu verras. »
    Après son départ, je me promenai
le long du canal, malgré le froid. On avait cassé la glace pour ouvrir un
passage aux bateaux, mais une fine couche s’était reformée à la surface. Dans
notre enfance, Frans, Agnès et moi lancions des pierres sur la mince pellicule
de glace jusqu’à ce que celle-ci ait disparu sous l’eau. Cela me semblait bien
lointain.
     
    *
     
    Un mois plus tôt, il m’avait
demandé de monter à l’atelier.
    « Je serai au
grenier », lançai-je à la cantonade.
    Tanneke garda les yeux fixés
sur sa

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