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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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qu’il avait accrochés sur le mur du fond, qui devait être inclus
dans la composition du concert. On apercevait un paysage sur la gauche et sur
la droite un tableau représentant trois personnes, une femme jouant du luth,
vêtue d’une robe au décolleté généreux, un homme passant le bras autour de ses
épaules et une femme âgée. L’homme achetait les faveurs de la jeune femme, la
femme âgée tendait la main pour saisir la pièce de monnaie qu’il lui tendait.
Ce tableau appartenait à Maria Thins, elle m’avait dit qu’il s’appelait
L’Entremetteuse.
    « Pas cette chaise. »
Il se détourna de la fenêtre. « C’est celle sur laquelle s’assied la fille
de Van Ruijven. »
    Celle sur laquelle je me serais
assise si j’avais posé.
    Il rapprocha de son chevalet
une des chaises aux têtes de lion, la plaça de côté, tournée vers la fenêtre.
« Asseyez-vous ici.
    — Que voulez-vous,
Monsieur ? » demandai-je, une fois assise. J’étais intriguée, nous ne
nous étions jamais assis l’un près de l’autre. Je tremblais, mais ce n’était
pas de froid.
    « Ne dites rien. » Il
ouvrit un volet afin de laisser le jour éclairer mon visage. « Regardez
par la fenêtre. » Il s’assit sur son tabouret, près du chevalet.
    Je contemplai la tour de la
Nouvelle-Église, ma gorge se serra. Je sentis ma mâchoire se contracter et mes
yeux s’ouvrir tout grands.
    « Maintenant,
regardez-moi. »
    Je tournai la tête et le
regardai par-dessus mon épaule droite.
    Ses yeux s’immobilisèrent dans
les miens et tout ce qui me vint à l’esprit ce fut que leur gris me rappelait
l’intérieur d’une coquille d’huître.
    Il semblait attendre quelque
chose. Mon visage commença à refléter ma crainte de ne pouvoir le satisfaire.
    « Griet », reprit-il
avec douceur. Il n’eut point besoin d’en dire davantage, mes yeux s’emplirent
de larmes. Je les retins, je savais faire maintenant.
    « Oui. Ne bougez
pas. »
    Il allait peindre mon portrait.
1666

 
     
    « Tu
sens l’huile de lin. » Mon père semblait déconcerté. Il doutait que le
simple ménage d’un atelier d’artiste pût imprégner mes vêtements, ma peau, mes
cheveux de cette odeur. Et il avait raison. Devinait-il que l’huile se trouvait
à présent dans la chambre où je dormais, que je posais durant des heures,
absorbant ces effluves ? Oui, il le devinait, mais il n’aurait pu
l’affirmer. Sa cécité le privait de sa belle assurance, il se méfiait de ses
pensées.
    Un an plus tôt, j’aurais essayé
de l’aider, de lui souffler des mots, de le cajoler pour le faire parler.
Maintenant, je me contentais de le regarder se débattre en silence tel un
scarabée tombé sur le dos qui ne parvient pas à se retourner.
    Ma mère, elle aussi, avait
deviné, bien qu’elle eût été incapable de dire quoi. Parfois son regard me
fuyait. Quand je réussissais à le rencontrer j’y percevais un mélange de colère
contenue, de curiosité et de chagrin. Elle essayait de comprendre ce qui était
arrivé à sa fille.
    Je m’étais habituée à l’odeur
d’huile de lin, j’en gardais même un flacon près de mon lit. Le matin, en
m’habillant, je le regardais à la lumière du jour pour en admirer la
teinte : du jus de citron additionné d’une goutte de jaune de Naples.
    C’est cette couleur que je
porte à présent, eus-je envie de lui dire. Je suis vêtue de jaune sur le
tableau qu’il est en train de peindre.
    Soucieuse de faire diversion,
je lui décrivis les autres tableaux auxquels travaillait mon maître.
    Une jeune femme joue du
virginal. Elle porte un corselet jaune et noir, celui du portrait de la Fille
du boulanger, une jupe de satin blanc et des rubans blancs dans les cheveux.
Debout dans la partie incurvée de l’instrument, une autre femme chante, une
partition à la main. Elle porte un peignoir vert garni de fourrure au-dessus
d’une robe bleue. Entre les deux femmes, un homme est assis, il nous tourne le
dos…
    « Van Ruijven, interrompit
mon père.
    — Oui. On ne voit que son
dos, ses cheveux et sa main posée sur le manche d’un luth.
    — Il en joue bien mal,
s’empressa d’ajouter mon père.
    — Oui, très mal. Voilà
pourquoi il nous tourne le dos : pour nous cacher qu’il n’est même pas
capable de tenir son luth correctement. »
    Rasséréné, mon père eut un
petit rire. Il était toujours ravi d’entendre qu’un riche pouvait être un
piètre musicien.
    Il n’était

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