La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
joint à
cette supplique, ils en sont empêchés par l’interdiction canonique d’alliance entre collatéraux, l’un au troisième degré et l’autre au deuxième degré. Ils présentent donc l’humble requête que le Très Révérend Évêque leur accordera une dispense en raison des faits suivants : le fiancé est veuf depuis le 10 août de cette année, comme on peut le constater sur le certificat de décès ci-joint, et il est le père de deux mineurs, un garçon de deux ans et demi (Aloïs junior) et une fille d’un an et deux mois (Angela). Or ces deux enfants ont besoin d’une nourrice, leur père étant de par sa situation de fonctionnaire des Douanes hors de chez lui toute la journée et souvent la nuit, et par conséquent dans l’impossibilité de s’occuper de leur éducation. La fiancée a pris soin de ces enfants depuis la mort de leur mère, et ils lui sont très attachés. On peut donc assurer sans crainte qu’ils seront bien élevés et que le mariage sera heureux. En outre, la fiancée est dépourvue de bien et il est peu probable qu’elle ait jamais une autre occasion de faire un si bon mariage.
Pour ces raisons, les soussignés renouvellent leur humble requête pour la gracieuse obtention de dispense de l’interdiction d’alliance.
Braunau am Inn, le 27 octobre 1884.
Aloïs Hitler, fiancé ; Klara Pölzl, fiancée.
Il se relut, cacheta la lettre et la porta lui-même au bureau des postes impériales et royales de Braunau.
***
Le refus de l’évêché plongea Aloïs dans un état de fureur destructrice qu’il eut du mal à réprimer. Klara se cacha le visage dans les mains et pleura.
– Cesse de pleurnicher, je n’ai pas tiré toutes mes cartouches.
Son service accompli, il traversa le pont et se rendit chez le père Raedecker, le curé de Simbach, le seul ecclésiastique qu’il supportait sur cette planète.
– J’aimerais vous soumettre un problème qui dépasse mes compétences.
– Je suis au courant de votre affaire, on ne parle que de ça ici. Cette fois, admettez-le, vous avez quelque peu exagéré ! Il s’agit de votre nièce, tout de même !
– Précisément, elle ne l’est pas ! Nous n’avons aucun lien de parenté, mais comme c’est un secret, je ne peux pas en faire état.
L’œil du père Raedecker s’alluma : il adorait les secrets (les secrets languissent d’être racontés), surtout ceux concernant la famille.
– Expliquez-vous, mon cher.
– Pas avant d’avoir goûté à votre schnaps.
Après le verre d’eau-de-vie, Aloïs bourra sa pipe, l’alluma, et conta son histoire, commençant par l’accord réglé avec Nepomuk, concluant par les motifs qui l’avaient inspiré.
– N’étant pas le fils de Georg, je ne suis pas l’oncle de Klara.
– Connaissez-vous votre père ?
Aloïs se permit de ricaner.
– J’ai fait le serment à ma mère de ne jamais révéler son identité.
Le curé but, prit la bouteille et la montra à Aloïs, qui opina du chef.
– Oui, merci.
Le curé remplit le verre d’Aloïs, puis le sien.
– Votre mère vous a-t-elle expliqué pourquoi cela devait rester un secret ?
– Vous répondre serait précisément le briser.
– Bien sûr… Montrez-moi votre dossier et vérifions ensemble si nous pouvons trouver une solution.
Ce fut l’ecclésiastique qui la trouva.
Après avoir traduit la requête en latin, il la soumit à l’arbitrage de Sa Sainteté, tout là-bas à Rome.
***
La réponse du tribunal pontifical arriva après une attente de trois semaines. C’était une réponse positive : Sa Sainteté accordait la dispense au couple.
Klara tomba à genoux en remerciant le Seigneur tout-puissant d’avoir, pour une fois, exaucé ses prières quotidiennes.
Pipe fumante au bec, Aloïs marcha d’un pas alerte jusqu’à la Stephanskirche.
– Le père confesse, dit le bedeau circonspect à la vue du douanier fumant dans l’église.
Ôtant son képi, étouffant sa pipe, Aloïs fit quelques pas dans la travée. Il repéra le confessionnal et se plaça à la suite des bigotes qui attendaient leur tour. Elles répondirent à peine à son salut et ne manquèrent pas de s’interroger sur le contenu de cette enveloppe décorée du sceau pontifical qu’il utilisait en guise d’éventail.
Quand son tour arriva, Aloïs se glissa à l’intérieur du meuble et, d’une voix de stentor, lut dans son intégralité la lettre du tribunal pontifical.
***
Le mariage d’Aloïs
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