La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
allons au Freinberg. En prenant le raccourci on y sera en moins d’une demi-heure.
– Comment ça, tant pis ? Alors tu trouves normal que ce type prenne mon banc et m’empêche d’étudier ?
– Je ne dis pas ça, mais nous sommes dans un lieu public. Comment veux-tu qu’il sache que tu t’es approprié ce banc…
Adolf secoua la tête d’un air navré. Ses intestins se manifestèrent.
– Regarde toi-même : tous les autres bancs sont inoccupés à l’exception du mien. Et tu trouves ça juste ? En plus c’est un de ces gandins corsetés de la garnison.
Son ventre gronda de plus belle. August fit comme si de rien n’était : il n’avait jamais osé aborder le sujet, et ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait commencer.
– Attends-moi, ordonna Adolf en marchant vers le banc d’un pas décidé.
Le militaire, un sous-lieutenant de dragons, lisait un recueil de poèmes hongrois. Il vit Adolf approcher et s’irrita d’être dérangé dans un exercice qui exigeait calme et solitude. Refermant son livre, il lança un regard insistant vers les nombreux autres bancs vides. Non seulement Adolf l’ignora mais il s’assit tout près de lui, le touchant presque, le contraignant à se déplacer de quelques centimètres en délivrant un soupir agacé.
Ouvrant son carnet de croquis, Adolf se mit à dessiner la péniche chargée de blocs de granit en provenance des carrières de Mauthausen qui descendait le fleuve, chantonnant son opéra favori du moment.
Rienzi ah ! Quels sont tes projets ?
Je te vois tout puissant, dis-moi,
À quoi vas-tu employer ta puissance ?
Paraissant deviner la manœuvre, l’officier, loin de déguerpir, se cala plus confortablement contre le dossier et fit mine de reprendre sa lecture.
Alors, affichant l’air inspiré d’un mélomane qui improvise, Adolf se souleva sur une fesse et se délesta d’un authentique concerto grosso durant lequel l’oreille exercée d’August apprécia l’aisance de l’artiste à moduler les intensités, à passer du pianissimo au poco forte pour grimper fortissimo et conclure smorzando .
Une fois l’intrus chassé vers un autre banc, Adolf triompha.
– Tu comprends, Gustl, mon père disait toujours que, lorsqu’on sait vraiment ce que l’on veut, on détient automatiquement la solution.
19
« Il me semblait que j’étais encore mieux doué pour le dessin que pour la peinture, surtout pour le dessin d’architecture. Cette évolution se précisa au cours d’un séjour de quinze jours que je fis à Vienne à l’âge de seize ans à peine. J’étais allé étudier la galerie de peinture du Hofmuseum, mais je n’eus d’yeux que pour le bâtiment lui-même. Tous les jours, du matin à la nuit tombée, je courais d’une curiosité à l’autre, mais c’étaient surtout les édifices qui me captivaient. Je demeurais des heures devant l’Opéra, des heures devant le Parlement ; toute la Ringstrasse me parut un miracle des Mille et Une Nuits. »
Adolf Hitler, Mein Kampf
Adolf arriva à Vienne le mercredi 2 mai en fin d’après-midi. Ses premiers pas dans la Westbahnhof l’impressionnèrent durablement ; la taille de la gare (entièrement électrifiée), le vacarme inouï, l’agitation des voyageurs, les cris en plusieurs langues des porteurs, tout était excessif, démesuré, tout à fait à son goût. Sa valise à la main, il sortit de la gare et marqua un temps d’arrêt devant la quantité de voitures de place qui attendaient le client. Côté droit, les Einspänner , à un cheval, côté gauche les Fiaker , à deux chevaux.
– Vous allez où ? demanda le cocher avec un fort accent qu’Adolf crut tchèque alors qu’il était hongrois.
– Je vais au 28 de la Löwengasse, dans le troisième arrondissement.
Le cocher toisa ce client potentiel.
– C’est loin, j’espère que vous avez de quoi payer.
Adolf s’offusqua.
– Bien sûr que j’ai de quoi payer, pour qui me prenez-vous ?
– Pour quelqu’un qui va me payer trois Kronen d’avance s’il veut aller dans le troisième.
Pour son séjour qui devait durer deux semaines, Klara lui avait donné cent cinquante Kronen : cinq billets de vingt, quatre billets de dix, le reste en pièces (Et surtout recompte bien la monnaie qu’on te rend). Il sélectionna un billet de vingt et l’agita en direction du cocher.
– Vous le voyez, eh bien vous ne le voyez plus.
Ce disant il rempocha le billet et s’en alla parler au cocher
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