La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
les animaux domestiques eux-mêmes, quoique habitués à la voix humaine, éprouvèrent la même terreur qu’elle inspire à ceux qui vivent dans l’état sauvage, et quittèrent précipitamment leurs pâturages pour se réfugier dans les bois et dans les marécages.
Avertis par ces cris bruyans, les moines qui habitaient la petite île commencèrent à se montrer, sortant par la porte basse de leur couvent, précédés par la croix et la bannière, et avec toute la pompe ecclésiastique qu’il leur était possible de déployer. Leurs cloches, au nombre de trois, faisaient entendre en même temps leurs sons funèbres, qui arrivaient ainsi aux oreilles de cette multitude alors silencieuse, mêlés au chant solennel des prières de l’église catholique, que les moines entonnaient en marchant processionnellement. Diverses cérémonies furent observées pendant que les parens du défunt portaient le corps sur le rivage, où ils le déposèrent sur une petite élévation depuis long-temps consacrée à cet usage, après quoi ils firent le deasil {88} autour du défunt. Quand on leva le corps pour le transporter dans l’église, la multitude rassemblée poussa un autre cri général dans lequel la voix mâle des guerriers se mêlait aux accens aigus des femmes, aux sons tremblans de celle des vieillards et au bruit perçant de celle des enfans. Le coronach se fit entendre pour la dernière fois, lorsque le corps entra dans l’intérieur de l’église, où les plus proches parens du défunt et les chefs les plus distingués du clan eurent seuls la permission de le suivre. Ce dernier hurlement de douleur fut si bruyant, et fut répété par tant d’échos, que le bourgeois de Perth appuya irrévocablement les mains sur ses oreilles pour ne pas l’entendre, ou du moins pour en amortir le son perçant. Il conserva cette attitude jusqu’à ce que les faucons, les hiboux et les autres oiseaux épouvantés par ce bruit eussent commencé à se rassurer dans leurs retraites ; et comme il retirait ses mains, une voix à son côté lui dit :
– Croyez-vous Simon Glover, que ce soit là l’hymne de pénitence et de louanges dont l’homme doit être accompagné lorsque, abandonnant sa prison d’argile, il s’élève vers son Créateur ?
Le gantier se retourna, et dans les traits bienveillans et les yeux pleins de douceur du vieillard à longue barbe blanche qui était derrière lui, il n’eut pas de peine à reconnaître le père Clément, quoiqu’il ne portât plus ses vêtemens monastiques, et qu’il eût sur la tête une toque de montagnard.
On peut se rappeler que Glover n’aimait pas cet homme, quoiqu’il eût pour lui un sentiment de respect. Son jugement ne pouvait refuser ce respect au caractère et aux qualités du vieux moine ; mais la doctrine professée par le père Clément était la cause de l’exil de sa fille et de l’état de détresse dans lequel il se trouvait lui-même. Ce ne fut donc pas avec une satisfaction sans mélange qu’il rendit son salut au vieux moine, et celui-ci fut obligé de lui demander une seconde fois ce qu’il pensait des rites funèbres célébrés avec des cérémonies si étranges.
– Je ne sais trop qu’en dire, mon père, répondit-il enfin ; mais ces gens rendent les derniers devoirs à leur chef à la manière de leurs ancêtres ; leur intention est d’exprimer le regret que leur inspire la perte d’un ami, et d’offrir au ciel leurs prières pour lui. Ce qui est fait de bonne foi doit, à mon avis, se prendre de bonne part. S’il en est autrement, il me semble qu’il y a long-temps qu’ils auraient été éclairés, et ils agiraient différemment.
– Vous vous trompez, Simon Glover. Dieu nous a envoyé sa lumière à tous, quoique en proportions différentes ; mais l’homme ferme volontairement les yeux, et préfère les ténèbres. Ce peuple égaré mêle au rituel de l’Église romaine les anciennes cérémonies de ses ancêtres païens, unissant ainsi aux abominations d’une Église corrompue par la richesse et le pouvoir, les rites cruels et sanglans d’idolâtres sauvages.
– Mon, père, répliqua Simon d’un ton un peu sec, il me semble que vous pourriez vous occuper plus utilement en allant dans cette chapelle aider vos frères à s’acquitter de leurs devoirs, au lieu de chercher à ébranler les principes de croyance d’un humble chrétien comme moi, tout ignorant que je suis.
– Et pourquoi dire, mon bon frère, que
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