La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
ne lui était pas habituel.
– Prieur Anselme, lui dit-il, si vous avez découvert dans ma conduite, soit comme roi soit comme particulier, quelque chose qui mérite une censure semblable à celle que contiennent vos paroles, il est de votre devoir de vous expliquer clairement, et je vous l’ordonne.
– Vous serez obéi, sire, répondit le prieur en s’inclinant humblement. Se relevant alors et prenant l’air de dignité convenable au rang qu’il occupait dans l’église, il lui dit : – Écoutez sortir de ma bouche les paroles de notre saint père, successeur de saint Pierre, à qui les clefs ont été transmises avec le pouvoir de lier et délier. Pourquoi, ô Robert d’Écosse, n’as-tu pas installé dans le siége de Saint-André, Robert de Wardlaw, que le pontife t’a recommandé pour le remplir ? Pourquoi tes lèvres font-elles profession de soumission respectueuse à l’Église, quand tes actions proclament la désobéissance et l’opiniâtreté de ton âme ? L’obéissance vaut mieux qu’un sacrifice.
– Sire prieur, dit le monarque d’un air convenable à son rang élevé, nous pouvons nous dispenser de vous répondre à ce sujet, car c’est une affaire qui nous concerne nous et les états de notre royaume, mais qui n’intéresse en rien notre conscience.
– Hélas ! reprit le prieur, et quelle conscience intéressera-t-elle au dernier jour ? Lequel de vos puissans lords ou de vos riches bourgeois viendra se placer entre leur roi et le châtiment qu’il aura encouru en suivant leur politique séculière en matière ecclésiastique ? Apprends, roi puissant, que quand toute la chevalerie de ton royaume serait rangée en bataille devant toi pour opposer ses boucliers à la foudre, elle serait consumée comme un morceau de parchemin sec jeté dans une fournaise ardente.
– Bon père prieur, dit le roi sur la conscience timorée duquel ce genre de langage manquait rarement de faire impression, vous parlez de cette affaire un peu trop sévèrement. Ce fut pendant ma dernière indisposition, tandis que le comte de Douglas exerçait comme lieutenant-général l’autorité royale en Écosse, que s’éleva malheureusement l’obstacle à l’installation du prélat. Ne m’accusez donc pas de ce qui s’est passé pendant que j’étais hors d’état de gouverner les affaires de mon royaume, et que j’avais été obligé de déléguer mon pouvoir à un autre.
– Vous en avez dit assez à votre sujet, sire. Mais si l’obstacle s’est élevé sous la lieutenance du comte de Douglas, le légat de Sa Sainteté vous demandera pourquoi cet obstacle n’a pas disparu sur-le-champ quand le roi a repris en ses mains les rênes de l’autorité ? Douglas-le-Noir a une grande puissance, plus grande peut-être que celle qu’un sujet devrait posséder dans le royaume de son souverain ; mais il ne peut se placer entre Votre Majesté et votre conscience ; il ne peut vous dégager des obligations que votre qualité de roi vous impose envers la sainte Église.
– Mon père, dit Robert avec un peu d’impatience, vous parlez sévèrement dans cette affaire ; vous devriez du moins attendre un temps raisonnable, jusqu’à ce que nous ayons eu le loisir d’y remédier. De semblables contestations ont eu lieu à plusieurs reprises sous les règnes de nos prédécesseurs ; et l’un de nos ancêtres saint David de bienheureuse mémoire, ne renonça pas à ses priviléges comme monarque sans les avoir vigoureusement défendus, quoique aux dépens d’une querelle avec le saint père lui-même.
– Et c’est en quoi ce grand et bon roi n’agit ni prudemment ni saintement ; et c’est pourquoi il fut abandonné à ses ennemis, qui le défirent et remportèrent sur lui des dépouilles quand il leva le glaive contre les bannières de saint Pierre, de saint Paul et de saint Jean de Beverley dans la guerre de l’Étendard, comme on l’appelle encore aujourd’hui. Il fut heureux pour lui que de même que le roi dont il portait le nom, le fils de Jesse, son péché ait été puni sur la terre au lieu d’être enregistré pour déposer contre lui au dernier jour.
– Fort bien, bon prieur, fort bien ; mais en voilà assez sur ce sujet quant à présent. Le saint siége, Dieu aidant, n’aura pas à se plaindre de moi. Je prends à témoin Notre-Dame que je ne voudrais pas pour la couronne que je porte me charger du péché de faire le moindre tort à notre mère l’Église. Nous
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