La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
comme pour mieux entendre et voir ce qui allait se passer.
Lorsque le duc de Rothsay comprit à l’expression des traits ordinaires et mornes de Douglas que le comte ne semblait disposé à lui accorder ni le respect qui était dû à son rang ni même le salut de la simple politesse, il prit la résolution de lui montrer combien il attachait peu d’importance à ses regards désapprobateurs. Prenant sa bourse des mains de son chambellan :
– Tiens, jolie fille, dit-il, je te donne une pièce d’or pour ces couplets que tu m’as chantés, une autre pour les noisettes que je t’ai volées, et une troisième pour le baiser que tu vas me donner ; car apprends, ma jolie chanteuse, que lorsqu’une belle bouche (et la tienne, faute de mieux, peut être appelée ainsi) fait entendre pour mon bon plaisir une douce musique, j’ai juré à saint Valentin de la presser contre la mienne.
– Mes chants sont noblement récompensés, dit Louise en reculant, mes noisettes ont été vendues à un bon prix ; tout autre marché, milord, ne serait pas digne de vous et ne saurait me convenir.
– Quoi ! vous faites la réservée, nymphe des grands chemins, dit le prince avec mépris. Sachez, damoiselle, que celui qui vous demande une grâce n’est point habitué aux refus.
– Le prince d’Écosse, le duc de Rothsay, dirent les courtisans à la pauvre fille effrayée, en se pressant autour d’elle ; ne contrariez point ses caprices.
– Mais je ne puis m’élever jusqu’à Votre Seigneurie, dit Louise ; vous êtes si haut sur votre cheval.
– S’il faut que je descende de cheval, l’amende sera plus forte encore, dit le duc de Rothsay. Eh bien ! pourquoi donc cette fille tremble-t-elle ? Place ton pied sur le bout de ma botte, maintenant donne-moi ta main. – Bien, c’est cela. Et il l’embrassa tandis qu’elle était ainsi suspendue en l’air, perchée sur son pied et soutenue par sa main. Voici ton baiser et voici ma bourse, lui dit-il, et pour t’honorer davantage, Rothsay portera ta mallette pendant le reste du jour. Alors il permit à la jeune fille de sauter à terre, et tourna ses regards dédaigneux sur le comte de Douglas, comme s’il eût dit : – Tout cela est en dépit de vos droits et de ceux de votre fille.
– Par sainte Brigite de Douglas, dit le comte, c’en est trop, grossier jeune homme, aussi dépourvu de sens que d’honneur ! Vous savez quelles sont les considérations qui retiennent la main de Douglas, ou vous n’auriez pas osé…
– Savez-vous jouer aux billes, milord ? dit le prince en plaçant une noisette sur la seconde articulation de son index, et la chassant par un mouvement du pouce. La noisette alla, frapper la poitrine large de Douglas, qui fit entendre une exclamation horrible causée par une fureur dont les sons inarticulés ressemblaient au mugissement d’un lion.
– Je vous demande pardon, puissant seigneur, dit le duc de Rothsay tranquillement, tandis que chacun tremblait autour de lui, je n’aurais pas cru qu’une noisette pût vous blesser en voyant votre buffetin ; j’espère qu’elle n’a point touché votre œil ?
Le prieur envoyé par le roi, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, était enfin parvenu à se frayer un chemin à travers la foule ; et retenant les rênes du cheval de Douglas de manière à l’empêcher d’avancer, il lui rappela que le prince était le fils de son souverain et le mari de sa fille.
– Ne craignez rien, père prieur, répondit Douglas ; je méprise trop cet enfant pour lever un doigt contre lui. Mais je rendrai insulte pour insulte. – Ici, quelqu’un de ceux qui aiment Douglas ! – Chassez-moi à coups de pied cette gourgandine hors du monastère, et qu’elle soit fustigée de manière à se ressouvenir jusqu’au dernier jour de sa vie qu’elle a donné lieu à un jeune étourdi d’insulter Douglas.
Plusieurs hommes s’avancèrent pour exécuter des ordres qui étaient rarement donnés en vain ; et la pauvre Louise eût expié cruellement une offense dont elle avait été la cause innocente et involontaire, si le duc de Rothsay ne l’eût prise sous sa protection.
– Chasser à coups de pied la pauvre chanteuse ! dit-il avec indignation, la fouetter parce qu’elle m’a obéi ! chasse à coups de pied tes malheureux vassaux opprimés, farouche comte ; fouette tes lévriers en défaut ! mais prends garde de porter la main ne fût-ce que sur un chien que la
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