La lance de Saint Georges
observé du mouvement dans le camp situé derrière
eux. L’ennemi s’en apercevrait bientôt et les cloches de l’église allaient
sonner l’alerte. Les murs de la ville ne tarderaient pas à se garnir de
défenseurs armés d’arbalètes, les arbalétriers tireraient leurs carreaux sur
les assaillants et Skeat avait pour mission d’obliger ces arbalétriers à
quitter le mur en leur envoyant des flèches. « Peu de chances que ça
marche », pensa-t-il amèrement. Les défenseurs s’accroupiraient derrière
leurs créneaux, empêchant ainsi ses hommes de viser et cet assaut allait se terminer
comme les cinq précédents, par un échec.
Toute la campagne avait été un échec. William Bohun, comte
de Northampton, qui conduisait la petite armée anglaise, avait lancé cette
expédition hivernale dans l’espoir de prendre une place forte dans le nord de
la Bretagne. Mais l’attaque de Carhaix avait été un échec humiliant, les
défenseurs de Guingamp s’étaient moqués des Anglais et les murs de Lannion
avaient résisté à tous les assauts. Ils avaient bien pris Tréguier, mais comme
cette ville n’avait pas de mur d’enceinte, ce n’était pas un bien grand exploit
et l’endroit ne pouvait servir de place forte. Et maintenant, au creux de
l’hiver, n’ayant rien de mieux à faire, l’armée du comte s’était disposée
devant cette ville, qui n’était guère plus qu’un gros bourg entouré de murs,
mais même cette misérable bourgade résistait à l’armée. Le comte avait lancé
assaut sur assaut et à chaque fois il avait fallu se retirer. Les Anglais
avaient été accueillis par une pluie de carreaux d’arbalète, les échelles avaient
été repoussées des remparts et chaque retraite avait excité la joie des
défenseurs.
— Comment s’appelle cette satanée ville ? demanda
Will Skeat.
— La Roche-Derrien, lui répondit un grand archer.
— Je savais que tu le savais, Tom, dit Skeat, tu sais
tout.
— C’est vrai, Will, remarqua gravement Thomas, c’est
bien vrai.
Les autres archers se mirent à rire.
— Puisque tu en sais tant, répète-moi donc le nom de
cette satanée ville.
— La Roche-Derrien.
— Quel nom stupide !
Skeat avait des cheveux gris, un visage maigre, et cela
faisait presque trente ans qu’il fréquentait les champs de bataille. Originaire
du Yorkshire, il avait commencé sa carrière comme archer dans la lutte contre
les Écossais. La chance avait secondé ses talents, aussi avait-il amassé du
butin ; il était sorti vivant de tous les combats et était monté en grade
jusqu’à ce qu’il soit devenu assez riche pour lever ses propres troupes. Il
commandait soixante-dix hommes d’armes et autant d’archers, qu’il avait engagés
au service du comte de Northampton et c’est pourquoi il se trouvait accroupi
derrière une haie humide à cent cinquante pas d’une ville dont il ne pouvait
pas retenir le nom. Ses hommes d’armes se trouvaient au camp. Il leur avait
accordé une journée de repos après le dernier assaut manqué. Will Skeat
détestait échouer.
— La Roche comment ? demanda-t-il à Thomas.
— Derrien.
— Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
— J’avoue que je ne sais pas.
— Doux Jésus, il ne sait pas tout ! dit Skeat en
feignant de s’étonner.
— Cependant c’est proche de derrière qui veut
dire « cul ». On pourrait traduire par : la Roche du cul.
Skeat ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais juste à
ce moment l’une des cloches de l’église de La Roche-Derrien se mit à sonner
l’alerte. C’était la cloche fêlée, celle qui avait un son si dur, et dans les
secondes qui suivirent les autres églises y ajoutèrent leur carillon, si bien
que l’air humide était empli de leur tintement métallique. Le bruit fut
accueilli du côté anglais par une acclamation retenue ; les troupes
d’assaut sortaient du camp et montaient en direction de la porte sud de la
ville. Les hommes de tête portaient des échelles, les autres des épées et des
haches. Le comte de Northampton dirigeait cette attaque comme il avait dirigé
les précédentes, bien visible dans son armure à demi recouverte d’un surcot à
ses armes : un lion et des étoiles.
— Vous savez ce que vous avez à faire ! beugla
Skeat.
Les archers se redressèrent, tendirent leurs arcs et
tirèrent. Les murs n’offraient aucune cible car les défenseurs se tenaient à
l’abri, mais le raclement des pointes
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