La lance de Saint Georges
les
appelaient les hellequins, les cavaliers du diable. De temps à autre, une
troupe ennemie essayait de leur tendre une embuscade et, dans ces escarmouches,
Thomas avait constaté que l’archer anglais, avec son arc de guerre, était le
roi. L’ennemi haïssait les archers. Lorsqu’il en capturait un, il le tuait. Un
homme d’armes pouvait être mis en prison, un seigneur rançonné, mais un archer
était toujours mis à mort. Torturé d’abord, tué ensuite.
Dans cette vie, Thomas s’épanouissait et Skeat avait
constaté que ce garçon était intelligent, suffisamment intelligent pour savoir
qu’il ne fallait pas s’endormir une nuit où il devait monter la garde. Pour
cette faute, Skeat lui avait sonné les cloches. « Tu étais
saoul ! » s’était-il écrié. Puis il l’avait roué de coups, usant de
ses poings comme un forgeron de ses marteaux. Il lui avait cassé le nez, fêlé
une côte et l’avait traité d’étron puant. Mais au terme de cette correction
Thomas avait toujours le sourire. Six mois plus tard, Skeat lui avait confié le
commandement d’une vingtaine d’archers.
Ces vingt hommes étaient presque tous plus âgés que lui mais
aucun ne paraissait prendre ombrage de sa promotion car ils se rendaient compte
qu’il était différent d’eux. La plupart des archers portaient les cheveux
coupés court, tandis que ceux de Thomas, rassemblés par des cordes d’arc, lui
descendaient jusqu’à la ceinture en une longue natte brune. Il était rasé de
près et toujours vêtu de noir. Cela aurait pu le rendre impopulaire, mais il
était dur à la tâche, avait l’esprit vif et savait se montrer généreux.
Néanmoins, il y avait en lui quelque chose d’étrange. Tous les archers avaient
un talisman, un pendentif de métal vil à l’effigie d’un saint, ou une patte de
lièvre desséchée. Thomas, lui, portait au cou une patte de chien en prétendant
que c’était la main de saint Guinefort. Nul n’osait le contredire car il était
le plus instruit de toute la bande. Il parlait français comme un gentilhomme et
latin comme un prêtre, et à cause de ces aptitudes ses camarades étaient fiers
de lui. Trois ans après son engagement, Thomas était devenu l’un des principaux
archers de Skeat. De temps à autre, celui-ci lui demandait son avis ; il
le suivait rarement, mais il le demandait. Et Thomas avait toujours sa patte de
chien, son nez cassé et son sourire impudent.
Or voici qu’il avait une idée pour pénétrer à l’intérieur de
La Roche-Derrien.
Cet après-midi-là, alors que l’homme au crâne fendu était
toujours accroché à l’échelle abandonnée, sir Simon Jekyll partit à cheval vers
la ville et se mit à aller et venir au trot à proximité des carreaux d’arbalète
à empenne sombre qui marquaient la limite de portée des armes des défenseurs.
Son écuyer, un garçon stupide à la mâchoire pendante et au regard ahuri,
l’observait à quelque distance, portant la lance de sir Simon. S’il advenait
que quelque preux de la ville relevât le défi que constituait sa présence
provocante, l’écuyer donnerait la lance à son maître afin que les deux
cavaliers combattent sur le pré jusqu’à ce que l’un des deux s’incline. Ce ne
serait pas sir Simon car il était le chevalier le plus aguerri de toute l’armée
du comte de Northampton.
Et aussi le plus pauvre.
Son destrier, âgé de dix ans, avait la bouche dure et
roulait beaucoup du dos. La selle, à pommeau et troussequin relevés de manière
à le maintenir fermement, avait appartenu à son père, tandis que sa cotte de
mailles, qui le recouvrait depuis le cou jusqu’aux genoux, lui venait de son
grand-père. Son épée avait plus de cent ans. Elle était lourde et s’émoussait
facilement. Sa lance avait gauchi dans l’humidité du temps hivernal et son
heaume, qui pendait au pommeau de sa selle, était un vieux pot de fer garni de
cuir usé. Son écu, portant comme blason un poing ganté de fer tenant une masse
d’armes, était bosselé et terni. Ses gantelets, tout comme le reste de son
armure, étaient rouillés. Cela expliquait l’air effarouché de l’écuyer, qui
avait une oreille enflée et rouge, bien que la véritable cause de la rouille ne
tînt pas à sa négligence mais plutôt au fait que sir Simon ne pouvait s’offrir
le vinaigre et le sable fin qui permettaient de nettoyer le métal. Il était
pauvre.
Pauvre, amer et ambitieux.
Et valeureux.
Nul ne niait sa
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