La lance de Saint Georges
d’arbalète. Il restait encore une échelle contre la brèche
avec l’homme mort coincé dans les barreaux supérieurs.
— En arrière ! En arrière ! hurla Skeat.
Les archers se mirent à courir, poursuivis par les carreaux,
jusqu’à ce qu’ils puissent franchir la haie et s’aplatir dans le fossé. Les
défenseurs se réjouissaient. Sur la tour de la porte, deux hommes abaissèrent
leurs hauts-de-chausses et montrèrent brièvement leurs postérieurs aux Anglais
battus.
— Les bâtards, rageait Skeat, les bâtards.
Il n’était pas habitué à l’échec.
— Il y a sûrement un moyen, grommela-t-il.
Thomas défit la corde de son arc et la plaça dans son
casque.
— Je vous ai expliqué comment y entrer, dit-il à Skeat.
Je vous l’ai expliqué à l’aube.
Skeat le considéra un long moment.
— On a essayé, mon garçon.
— Je connais un moyen, Will. Je vous assure, j’ai
trouvé le moyen.
— Eh bien, dis-le-moi.
C’est ce que fit Thomas. Il s’accroupit dans le fossé, sous
les huées des habitants de La Roche-Derrien, pour expliquer à Skeat comment
déverrouiller cette place et Skeat écouta parce que l’homme du Yorkshire avait
appris à se fier à Thomas de Hookton.
Cela faisait trois années que Thomas se trouvait en Bretagne
et, bien que la Bretagne ne fût pas la France, son usurpateur de duc
fournissait constamment de nouveaux Français à tuer. Or Thomas avait découvert
qu’il possédait un talent pour cela. Ce n’était pas seulement qu’il fût bon
archer. L’armée regorgeait d’hommes aussi bons que lui et en possédait même
quelques-uns qui étaient meilleurs, mais Thomas avait constaté qu’il savait par
intuition ce que les ennemis allaient faire. Il les observait, regardait leurs
yeux, examinait dans quelle direction ils se tournaient et, la plupart du
temps, il était capable d’anticiper les mouvements de l’ennemi et se tenait
prêt à l’accueillir avec une flèche. Cela ressemblait à un jeu, un jeu dont il
connaissait les règles alors que ceux d’en face ne les connaissaient pas.
La confiance de Will Skeat lui avait été utile. La première
fois qu’ils s’étaient rencontrés, près de la geôle de Dorchester, Skeat s’était
montré réticent à l’engager. Il mettait à l’épreuve une douzaine de voleurs et
de meurtriers pour savoir s’ils tiraient bien à l’arc. Le roi avait besoin
d’archers. Aussi les hommes qui en d’autres circonstances auraient dû être
envoyés aux galères étaient-ils pardonnés, à condition qu’ils acceptent de
servir sur le continent. Plus de la moitié des hommes de Skeat étaient des
individus de cette sorte. Skeat pensait que Thomas ne s’entendrait jamais avec
ce gibier de potence. Il lui avait pris la main droite, avait remarqué les
callosités sur les deux doigts qui tendent la corde – signe que ce garçon
était bien un archer – mais ensuite il avait tapoté la paume tendre de
Thomas.
— Qu’as-tu fait jusqu’ici ? lui avait-il demandé.
— Mon père voulait que je devienne prêtre.
— Prêtre ! Voyez-vous cela ! Eh bien, tu
pourras prier pour nous.
— Je peux tuer aussi.
Finalement, Skeat avait autorisé Thomas à se joindre à la
troupe. En grande partie parce qu’il possédait un cheval. Au début, Skeat avait
pensé que Thomas de Hookton n’était qu’un jeune fou avide d’aventure. Mais un
jeune fou intelligent, sans aucun doute. Et cependant, Thomas avait adopté la
vie d’archer avec bonne humeur. La guerre consistait en réalité à piller et,
jour après jour, les hommes de Skeat partaient en expédition dans des contrées
qui avaient fait allégeance au duc Charles pour y brûler les fermes, voler les
récoltes et prendre le bétail. Un seigneur dont les paysans ne peuvent pas
verser la rente est un seigneur qui n’a plus les moyens d’engager des soldats.
Voilà pourquoi les hommes d’armes de Skeat et ses archers montés étaient lâchés
sur les terres ennemies comme une calamité.
Thomas aimait cette vie. Il était jeune et sa tâche ne
consistait pas seulement à combattre l’ennemi mais à le ruiner. Il brûlait les
fermes, empoisonnait les puits, volait les semences, brisait les charrues,
incendiait les moulins, écorçait les arbres fruitiers et vivait de son pillage.
Maîtres de la Bretagne, les hommes de Skeat étaient un fléau venu de l’enfer et
les villageois qui parlaient français, dans la partie est du duché,
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