La lance de Saint Georges
ton
catégorique. Je pars pour la France.
Sir Giles hocha la tête. Il admettait que ce garçon était
davantage fait pour être soldat que prêtre.
— Partiras-tu comme archer ? demanda-t-il en
regardant l’arc à l’épaule de Thomas. Ou bien veux-tu venir chez moi pour
t’entraîner au métier d’homme d’armes ?
Et il ajouta avec un demi-sourire :
— Tu es de bonne naissance, tu sais.
— Je suis né bâtard.
— Ton père était de bonne naissance.
— Savez-vous à quelle famille il appartenait ?
Sir Giles haussa les épaules :
— Il n’a jamais voulu me le dire et quand je le
pressais de questions il me répondait simplement que Dieu était son père et
l’Église sa mère.
— Et ma mère était la gouvernante d’un prêtre et la
fille d’un porteur d’arc. Je veux aller en France comme archer.
— Il y a plus d’honneur à être homme d’armes, fit
observer sir Giles.
Mais Thomas ne recherchait pas l’honneur, il désirait la
vengeance.
Sir Giles le laissa choisir ce qu’il voulait parmi les
effets des soldats ennemis et Thomas préleva une cotte de mailles, une paire de
longues bottes, un coutelas, une épée, une ceinture et un casque. C’était du
matériel ordinaire mais en bon état. Seule la cotte de mailles avait besoin
d’être réparée, à l’endroit percé par la flèche. Sir Giles déclara qu’il devait
de l’argent au père de Thomas. Était-ce vrai ou non ? En tout cas, il
remboursa sa dette en offrant à Thomas un hongre de quatre ans.
— Tu auras besoin d’un cheval. De nos jours, les
archers sont montés. Va à Dorchester, et là tu trouveras probablement quelqu’un
qui recrute des archers.
On coupa la tête des Génois et leurs corps furent
abandonnés ; ils pourriraient sur place. Les quatre têtes furent fichées
sur des pieux plantées le long du Hook. Les mouettes vinrent manger les yeux
des morts et picorer leur chair jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des crânes
contemplant la mer de leurs orbites vides.
Mais Thomas ne vit pas ce spectacle. Il avait pris son arc,
traversé la mer et rejoint la guerre.
PREMIÈRE PARTIE
La Bretagne
1
C’était l’hiver. Une brise matinale venait de la mer,
apportant avec elle une âcre odeur de sel et un crachin qui allait certainement
saper la force des cordes des arcs s’il ne cessait pas.
— Tout cela, dit Jake, c’est une sacrée perte de temps.
Personne ne fit attention à lui.
— On aurait mieux fait de rester à Brest, assis au coin
du feu, à boire de la bière, marmonna-t-il.
Son propos resta ignoré.
— Brest, drôle de nom pour une ville, dit-il après un
long moment, mais il me plaît. Nous allons peut-être revoir l’Oiseau
Noir ?
— Elle pourrait bien te mettre un cadenas sur la
langue, ce qui nous arrangera tous, grommela Will Skeat.
L’Oiseau Noir était une femme qui combattait sur les
remparts chaque fois que l’armée donnait l’assaut. Elle était jeune, brune,
portait un manteau noir et se servait d’une arbalète. Lors de la première
attaque, quand les archers de Will Skeat s’étaient trouvés aux premières lignes
et avaient perdu quatre hommes, ils s’étaient approchés assez près pour voir
distinctement l’Oiseau Noir et tous l’avaient trouvée belle, bien qu’après
cette campagne d’hiver faite d’échecs, de froid, de boue et de faim, à peu près
n’importe quelle femme leur eût semblé belle. Pourtant l’Oiseau Noir avait
quelque chose de particulier.
— Elle ne recharge pas elle-même cette arbalète, dit
Sam que l’humeur maussade de Skeat n’émouvait nullement.
— Bien sûr que non, dit Jake, il n’y a pas une seule
femme qui puisse tendre une arbalète.
— Marie la Gourde le pouvait, répondit un autre homme.
Elle était forte comme un bœuf.
— Et puis elle ferme les yeux quand elle tire, j’ai
remarqué, dit Sam qui pensait toujours à l’Oiseau Noir.
— Tu l’as remarqué parce que tu ne faisais pas ton
travail, alors ferme ton bec, Sam, gronda Will Skeat.
Parmi les hommes de Skeat, Sam était le plus jeune. Il
prétendait avoir dix-huit ans, mais lui-même n’en était pas sûr. C’était un
fils de drapier qui avait un visage d’ange, des cheveux châtains bouclés et un
cœur aussi noir que le péché. Mais il était bon archer. D’ailleurs, personne ne
pouvait servir sous les ordres de Will Skeat sans l’être.
— Allons, les gars, préparez-vous, dit Skeat.
Il avait
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