La lanterne des morts
Valencey d’Adana, Victoire et deux cents hommes d’équipage de La Terpsichore se mettaient en route. Ils allaient assurer une des plus belles et sans aucun doute la plus méconnue des victoires maritimes françaises en volant au secours de l’amiral Villaret de Joyeuse commandant la flotte de l’Atlantique.
Mais à un prix que nul, dans la 123 e demi-brigade, n’eût osé envisager!
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N’était l’inquiétude d’avoir laissé cinq cents des siens – et surtout, surtout Mahé! – aux confins de la Saintonge, Valencey d’Adana ressentait un profond plaisir à sentir La Terpsichore vibrer sous ses pieds.
Il avait deux cents de ses hommes avec lui dont les meilleurs artilleurs et marins, retrouvant avec joie Josselin de Keringan, qui assura l’intérim en son absence, et Guillaume de Lamorville, commandant l’artillerie de bord. Tous deux restèrent muets de surprise en apprenant leur promotion au grade de colonel dans l’armée. Mais cette stupeur égalait celle de Valencey d’Adana lui-même en découvrant que, sachant l’arrivée imminente de Victoire, les quelques officiers et marins demeurés sur le navire avaient décoré la dunette d’une multitude de roses.
Les tambours saluèrent le pavillon tricolore, puis on leva l’ancre sous des vents favorables, naviguant brise portante.
Accompagné de Victoire qui découvrait le navire avec émerveillement, et suivi du chien La Fayette qui semblait détester le léger roulis, Valencey d’Adana procéda à une rapide inspection du navire. Il vérifia l’arrimage des caisses, l’état des vivres et surtout des salaisons, légumes, biscuits, barriques d’eau et de vin. Il inspecta également les soutes: boulets, poudre, câbles, voiles neuves. Il respira l’air des cales et entreponts, heureux qu’on ait exécuté ses ordres: fumigations, ventilateurs, parfums. On avait sans doute également fait brûler près des sentines un mélange de goudron, poudre à canon, genièvre et vinaigre, parfumant ainsi l’atmosphère.
La République était exsangue, mais on avait fait l’impossible pour admirablement doter La Terpsichore .
Valencey d’Adana et Victoire remontèrent sur le pont.
La hâte, les gestes précis, les ordres, les cris, tout paraissait nouveau à Victoire:
– À border les huniers!
– Amure la misaine!
– Navire par le bossoir du vent!
On vit une frégate anglaise assez intrépide pour s’approcher et Victoire, stupéfaite, découvrit l’homme qu’elle aimait changeant de visage, les traits durcis, l’œil à la lunette d’approche et cette voix métallique:
– Appelez au branle-bas de combat!… La barre au vent, toute!… Hissez les couleurs!
– Aux armes!… hurla le bosco entre les deux gaillards appelés batterie haute.
Mais l’Anglais, reconnaissant La Terpsichore , décampa en toute hâte.
Le visage à présent détendu, Valencey d’Adana sourit à Victoire.
– Fausse alerte.
La brise adonnait et la frégate filait au sud, vers Brest.
On eut bientôt une légère houle alors qu’on naviguait vent arrière puis, en moins d’une heure, les vents changeants s’orientèrent ouest quart nord-ouest.
Victoire observait sans cesse Joachim, cette façon de poser deux mains nerveuses sur la lisse, de vérifier machinalement que son tricorne noir galonné d’or et orné d’un plumet tricolore se trouvait posé bien droit, de saisir sa lunette d’approche à intervalles réguliers pour scruter l’océan désert.
Le bateau cherchait sans cesse le vent et Valencey d’Adana, d’une grande patience qu’égalait sa gentillesse de ton, expliquait la manœuvre à Victoire:
– Non, là, nous avons viré vent devant. On fait tourner le bateau par le jeu du gouvernail et des voiles pour se placer dans le sens du vent et, pendant qu’il pivote, le vent le frappe à la proue. C'est assez délicat.
– Mais tu avais dit «lof pour lof», tout à l’heure, n’était-ce point la même chose?
Il sourit, amusé:
– Tu m’auras mal compris, jolie biche: lof pour lof, le navire tourne de sorte que le vent le frappe à la poupe. C'est sans difficulté mais long, et nous perdons du terrain.
– Mais Joachim, s’il n’y a pas de vent du tout?
– C'est assez dramatique: les moustiques nous peuvent rattraper!
Ils rirent mais elle insista:
– Et tu ne peux rien faire sans le vent?
– Si, utiliser l’ancre à jet. On charge l’ancre très lourde sur une chaloupe qui la mouille le plus loin possible,
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