La lanterne des morts
répondit:
– Toute la flotte anglaise va attaquer le plus gros convoi de vivres de tous les temps, convoi destiné à la France étranglée par la famine: rien moins que cent dix-sept gros navires aux cales bourrées de blé et de produits alimentaires en provenance de nos amis des États-Unis. La Convention nationale a donc ordonné à l’escadre de l’Atlantique d’appareiller de Brest pour se porter au-devant du convoi et le protéger, ce que fait en ce moment l’amiral Villaret de Joyeuse. Vous savez tous dans quel état lamentable se trouve l’escadre de Brest mais, sans ce convoi, la France est perdue, nous compterons des dizaines et des dizaines de milliers de morts et bien davantage avec la famine et les épidémies qui suivront.
– On demande à Villaret de Joyeuse et à l’escadre de l’Atlantique de se suicider… remarqua un officier.
– On lui demande de faire ce pourquoi cette escadre existe: son devoir!… répondit sèchement Valencey d’Adana.
Guillaume de Lamorville, commandant de l’artillerie de La Terpsichore , questionna à son tour:
– Et nous, qu’attend-on de nous?
– Nous serons en pointe face aux Anglais. Immédiatement. Nous les attaquerons avec sauvagerie puis, nous éclipsant, nous nous placerons à l’arrière-garde du convoi et de l’escadre. Notre mission sera alors de couvrir la retraite. Nous serons seuls entre les navires de commerce et de guerre se hâtant vers Brest et la totalité de la flotte de guerre anglaise. Il faudra non seulement protéger la retraite mais également couvrir les traînards. Nous serons au feu du début à la fin, nous rentrerons les derniers à Brest.
– Si nous rentrons… murmura une voix rêveuse et résignée.
Valencey d’Adana se leva.
– Keringan, prenez le commandement.
– Vous avez en effet l’air fatigué…
Valencey d’Adana hocha distraitement la tête et, s’adressant à l’ensemble de ses officiers:
– Nous en avons connu de dures, vous et moi. Souvenez-vous lorsque nous avions défait successivement le Honey Bee , le Hornet et le Hood , ces gigantesques monstres. Cependant, ne sous-estimez surtout pas ce nouveau combat.
Victoire et Valencey d’Adana étaient un instant montés sur le pont. Par intermittence, la lune se reflétait sur une mer houleuse qu’elle argentait de ses rayons.
Puis, gagnant la vaste chambre de Valencey d’Adana, ils firent longuement l’amour tandis que sur le pont, on carguait les voiles pour ne pas démâter sous ce vent d’enfer.
Ils étaient allongés, nus, sur le lit étroit, feignant d’ignorer La Fayette lequel s’était glissé près de leurs pieds. Une bougie à la flamme tremblotante éclairait faiblement la pièce.
Ils se tenaient la main en se regardant. La frégate avait ralenti sa vitesse en raison que, lors des tempêtes, on ne navigue qu’avec les voiles basses. On entendait fermer tous les sabords par crainte d’embarquer des paquets de mer.
Victoire se coucha sur lui, sentant aussitôt les mains de Joachim qui lui caressaient la nuque, le dos, les hanches, la taille, les fesses…
La mer tapait violemment contre les parois de chêne et on ne pouvait ignorer les terribles hurlements du vent qui cherchait à s’immiscer par tous les interstices de la frégate.
– Je suis bien!… lui souffla-t-elle.
– Moi aussi!… A-t-on le droit d’être si heureux?… Cette cabine, si tu savais les milliers de fois où je t’ai imaginée ici et combien cela me paraissait un impossible rêve. Tout arrive, alors… Peut-être parce que nous avons si longtemps attendu.
– Et, lorsque sortait le cercle de champignons magiques après l’orage, combien de fois je me suis assise là, à rêver, sourire et pleurer.
– Ma chère âme, pourquoi suis-je du nombre de ces malheureux hommes pour lesquels tout est toujours si compliqué?
– Qui sait, mon cœur, c’est arrivé ainsi, nous nous aimons, peut-être qu’autrement, ce n’eût point été aussi merveilleux.
– Tu es trop gentille, on n’a pas le droit d’être gentille comme ça.
Il sourit.
– Un jour, je me suis dit que toutes ces études pour l’art de la guerre… Eh bien, si j’avais tenté d’inventer une machine à éplucher les légumes, j’aurais travaillé au château, tu aurais été près de moi…
– Non, le baron de Penchemel m’a dit que tu faisais les plus fines épluchures de pommes de terre qu’on vît jamais.
Il lui ébouriffa les cheveux.
– Ah, scélérate, tu
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