La lanterne des morts
pas de charge, baïonnette au canon. Pris entre la cavalerie «étrangère» et les vétérans, les cavaliers vendéens virent venir leur fin.
Victoire, pour laquelle O'Shea avait soigneusement choisi une monture exceptionnelle, cheval de guerre rompu à ce genre de combat, prit par sa fougue l’ascendant sur son adversaire qui devint cramoisi en constatant qu’on lui opposait une femme. L'homme, un vieil officier monarchiste au Sacré-Cœur cousu sur la veste verte d’officier, l’injuria. Perdant pied, il tenta de lui cracher au visage en lui disant:
– Je te foutrai, salope!
Cet homme au visage haineux représentait tout ce qu’elle combattait et cela lui permit de frapper de toutes ses forces, sectionnant la jugulaire du Vendéen qui vida les étriers en inondant l’herbe de sang.
Elle demeura un instant stupéfaite, puis O'Shea lui prit délicatement le coude pour l’entraîner:
– Très beau combat mais c’en est fini, à présent. Venez, nous allons nous replier.
Blacfort ne pouvait plus reculer, il lança son armée, la déployant en largeur.
Aussitôt, l’artillerie républicaine entra en action.
Le courage des Vendéens aurait pu forcer l’admiration si on ne s’était trouvé dans l’action. Les soldats-paysans montaient à la mort en chantant des cantiques. Ils payaient l’assaut cher, fort cher. Mais ils progressaient inexorablement.
Blacfort était mort d’anxiété lorsqu’il vit que les Bleus approchaient les chevaux comme pour assembler avant-trains et caissons. Plus en arrière, les soixante chariots du train des équipages se mettaient en ordre pour une évacuation.
Saisissant sa chance, Blacfort eut l’intelligence de suspendre son attaque. Aussitôt, la 123 e demi-brigade se replia à une vitesse époustouflante et dans un ordre admirable.
Bientôt, non sans emporter ses morts et ses blessés, elle disparut vers l’étranglement de la vallée.
Les Vendéens poussèrent des cris de victoire où se mêlait peut-être un certain soulagement.
Blacfort exultait. Il avait perdu toute son artillerie, toute sa cavalerie et quatre cent cinquante de ses hommes mais il passait en obligeant la 123 e au repli!
Dans un bruit d’enfer, les fantassins juchés à dix sur les chariots, les canons, les affûts et tout ce qui roulait, la 123 e demi-brigade «Liberté, liberté chérie» se repliait à la vitesse du vent.
Interminable colonne mobile d’uniformes bleus, de cocardes tricolores, de jeunes soldats nerveux, tout cela traîné et porté par des chevaux aux yeux fous dans un nuage de poussière, la 123 e traversait les villages sans ralentir, sous les injures des paysans.
Dans un village où elle fut accueillie à coups de fusil, Valencey d’Adana, pressé, riposta au canon!
Peu après, les troupes républicaines arrivèrent à Beau-voir. Valencey d’Adana fit placer des canons sur les ponts et toutes les élévations, pensant cependant que Blacfort l’éviterait.
Tous les objectifs que s’était fixés le général avaient été atteints et il ne déplorait que trois morts et sept blessés, dont deux graves.
Au soir, à l’instant où Valencey d’Adana allait enfin se détendre, deux pigeons se posèrent en provenance de Paris. Ils étaient porteurs d’une stupéfiante nouvelle que devaient confirmer des messagers arrivant dans la nuit. Il fit renvoyer les pigeons avec cette réponse sibylline: «À Pâques, on dit que même les œufs volent…»
Puis il réunit ses officiers, étudia la carte et, l’air grave:
– Mahé, tu as le commandement de la brigade. Tu vas remonter vers Marigny. Contente-toi d’envelopper le nord de la forêt de Chizé. Je ferai consolider tes flancs par des régiments de ligne.
Mahé, les larmes aux yeux, balbutia:
– Alors… tu pars?
– Je n’ai pas le choix, ordre du Comité de salut public.
– Ce sera la première fois que nous ne combattrons pas côte à côte, Joachim!
Celui-ci posa ses mains sur les épaules de Mahé.
– Tu crois que je n’y pense pas?… Et les cinq cents hommes qui demeurent ici, tu y songes?… Tu me remplaces, Mahé, et tu feras ça très bien: pas question de lâcher Blacfort!
– Comment vas-tu faire?… demanda O'Shea.
Valencey d’Adana hocha la tête.
– Je prends les chariots et vous les ferai renvoyer. Nous passerons par Surgères et Rochefort, la route est meilleure. De là, nous embarquerons pour l’île d’Aix où nous attend La Terpsichore .
Trois heures plus tard,
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