La lanterne des morts
République.
Retiré près du maître-autel, Valencey d’Adana lisait avec tristesse le courrier de feu les deux officiers royalistes, l’un ancien du Bourgogne-cavalerie et l’autre du régiment de Penthièvre-infanterie. Pauvres lettres perdues, écrites par des femmes amoureuses qui attendraient peut-être toute leur vie sans savoir que l’homme aimé pourrissait derrière une haie et que son squelette serait un jour jeté au fossé, comme des dizaines de milliers d’autres.
Il apprit par ces courriers que le généralissime vendéen Henri du Vergier, comte de La Rochejaquelein, ancien officier du royal-Pologne et défenseur du roi aux Tuileries, venait d’être tué à vingt et un ans, le 28 janvier, dans un bref engagement en un lieu reculé du bocage.
«Tous ces chefs pour une armée qui s’évapore…» songea-t-il.
Stofflet, une brute épaisse, était nommé généralissime tandis que M. de Charette se tenait à l’écart. Charette, lui aussi rescapé des Tuileries lors du 10 août 1792. Il en avait réchappé sans gloire en brandissant tel un trophée la jambe d’un garde suisse dont le peuple massacra tout un régiment ce jour-là.
Jean-Nicolas Stofflet, ancien instructeur de gendarmerie, ex-chef des gardes-chasses de M. de Colbert et maître actuel de la Vendée royaliste. Envieux des aristocrates, mais sans jamais l’avouer. Un géant, une force de la nature. Brutal, jaloux, fermé, dissimulé… et grand ami de l’incandescent général-comte de Blacfort!
9
FIN FÉVRIER 1794…
Le mois de février s’écoula en d’affreuses conditions de climat qui semblaient s’harmoniser à l’horreur de la débâcle vendéenne, celle-ci provoquant dans les deux camps des sursauts de cruauté rarement atteints jusqu’alors.
Janvier avait été très froid, février fut glacial. On disait qu’à Paris, une partie du quai des Orfèvres s’était brusquement effondrée. Des blanchisseuses travaillant sur un bateau à fond plat amarré à quai virent avec épouvante un énorme bloc de glace couper le câble qui les reliait à la terre. Poursuivant sa course folle, le câble ravagea le pont, décapitant ou coupant en deux les malheureuses tandis que le bateau ingouvernable s’écrasait contre la pile d’un pont.
Deux jours plus tard, la Seine était prise dans les glaces du Pont-Neuf au Pont-Royal. Les Français voyaient arriver avec crainte le mois de mars qui est celui des vents, calamité s’ajoutant aux autres.
En Vendée, on n’échappait pas à ce temps affreux tandis que, tournant en rond, trois groupes semblaient appelés à se rencontrer un jour: Valencey d’Adana et ses cinq hommes, le général-comte de Blacfort et son arrière-garde royaliste, le Vendéen Bienvenu et sa prisonnière Victoire de La Chesnaie de Flers.
Entre landes, forêts, marais et chemins creux où l’on n’y voyait point à trois mètres en raison de la pluie et du brouillard, se trouver relevait du miracle.
Et pourtant…
Blacfort s’étourdissait de fêtes en des châteaux parfois à demi en ruine ou partiellement brûlés.
Entouré constamment de ses gardes du corps venus des bas-fonds de Paris, il menait un peloton de soixante cavaliers et l’équivalent d’un régiment de soldats-paysans solidement encadrés par d’anciens militaires.
On le savait débauché, souvent rejoint lors de ses fêtes par un détachement d’amazones, jeunes et jolies aristocrates lesquelles, se croyant promises à la guillotine, n’hésitaient pas à participer à des orgies qu’en d’autres temps elles eussent jugées abjectes.
Mais, flatté avec habileté par un Blacfort qui avait pris la mesure du commandant suprême des forces militaires vendéennes, le généralissime Stofflet lui pardonnait tous ses écarts.
Stofflet n’était point le seul à faire montre de semblable indulgence. En effet, les officiers et soldats-paysans, pourtant fervents catholiques, ne voulaient rien savoir des débordements du général-comte de Blacfort.
C'est qu’en Vendée, on avait de la mémoire.
Bien que Blacfort fût un homme révoltant, en cela qu’il piétinait les valeurs humaines les mieux partagées, la complexité du personnage déconcertait. Ainsi, il semblait impossible qu’il ne soit pas tenu pour courageux, voire héroïque, passant pour le bras armé de Dieu dans toute la Vendée. Au point qu’un siècle plus tard, dans le bocage, son principal exploit n’était pas oublié.
Il avait eu un geste, un seul,
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