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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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soixante-dix ans très pauvrement vêtue.
    Le jeune marquis lui parla à l’oreille, sans doute pour la mettre en confiance mais c’est cependant avec crainte qu’elle s’avança.
    Blacfort se leva, lui faisant face:
    – Ainsi ton ventre, «le Prétentieux», parle. Es-tu sûre que ce n’est point plutôt ton cul?
    On rit beaucoup, sauf la femme. Surpris, car ses lèvres n’avaient pas bougé et la voix semblait effectivement venir du ventre, on entendit:
    – Il est des ventres qui parlent car affamés et de nobles culs qui se taisent pour toujours car la tête fut coupée.
    – Je n’aime point trop l’esprit de ton ventre, pataude!… Réponds plutôt à ceci: qui gagnera cette guerre?
    «L'esprit» parla de nouveau, la bouche demeurant, du moins en apparence, immobile:
    – Je sais qui la perdra et pas un des huit qui sont ici n’y survivra. La plupart connaîtront «le vasistas à Sanson 1 », d’autres…
    Elle observa Blacfort dans les yeux tandis que le ventre poursuivait:
    – D’autres n’auront pas cette chance.
    Livide, Blacfort demanda:
    – Que veux-tu dire, sorcière?
    – Il est des morts cent fois plus atroces que la guillotine…
    Un instant stupéfait, Blacfort se rua vers un meuble, saisit une paire de pistolets et les vida dans le ventre de la vieille femme.
    Aux détonations, Simon dit «la Douceur» et Chapeau-ciré entrèrent, l’arme à la main:
    – Enlevez cette charogne!… ordonna Blacfort toujours blanc comme un mort.
    Tandis qu’on tirait le cadavre par les pieds, laissant une longue flaque de sang, un officier entra.
    Boueux, sale, crotté, de la terre jusqu’au chapeau, ruisselant de pluie, cet ancien capitaine du royal-Normandie-cavalerie s’approcha.
    Blacfort, toujours sous le coup de la sombre prédiction, reconnut un de ses officiers en charge de la sécurité.
    – C'est très urgent, général.
    – Qu’y a-t-il encore?
    – Nous avons attendu pour être bien certains mais le doute n’est plus permis: un groupe de terroristes agit sur nos arrières. Ils détruisent nos postes isolés, déciment nos patrouilles, se nourrissent de nos vivres, s’arment avec ce qu’ils prélèvent sur les cadavres des nôtres. Hier, ils ont profité du brouillard pour attaquer un de nos relais tuant quatre hommes, deux postillons et volant quinze chevaux.
    – Des Bleus?… Combien sont-ils donc?… demanda Blacfort surpris de pareille audace mais que cette affaire passionnait moins que sa peur superstitieuse d’une fin annoncée comme étant proche et terrible.
    – Ils ne sont que six, général.
    Malgré lui, l’énormité de la chose fit sursauter Blacfort:
    – Quoi, six qui terrorisent toute une armée?… Mais de quoi parlons-nous, ici?
    – C'est une étrange affaire, général. Ils font la guerre tels des spectres, on ne les voit que pour mourir. Nous savons qu’ils portent des uniformes d’officiers de marine mais tels qu’à l’époque de la guerre d’Amérique. Ils arborent la cocarde tricolore à leurs tricornes.
    Voyant l’air troublé du capitaine, Blacfort s’énerva:
    – Quoi, qu’y a-t-il que vous ne dites point?
    – Un des nôtres, blessé et laissé pour mort, mais sans doute pris de délire, assure avoir entendu un de ces officiers de marine s’adresser au chef en disant «prince».
    Ne pouvant dissimuler qu’il tremblait de la tête aux pieds, le général-comte de Blacfort quitta la pièce sans un mot.
    1 Vasistas signifiait guillotine. Sanson était le bourreau officiel de Paris.

10
    Ils avaient été surpris à l’aube, dans une clairière, Bienvenu ayant souhaité faire chauffer de l’eau pour confectionner une sorte de tisane à base de baies sauvages. Le brouillard était glacé et ni les cinq Vendéens, ni leur captive Victoire de La Chesnaie de Flers n’imaginaient qu’une patrouille de Bleus puisse envisager de sortir par un temps si détestable. Fût-ce néanmoins le cas, il semblait évident que l’épais brouillard dissimulerait la famélique fumée blanche du feu allumé par les Vendéens aux abois.
    Ceux-ci, pensant à leurs adversaires républicains, les enviaient, les imaginant bien au chaud dans leurs postes à jouer à cavagnole 1 en buvant du vin chaud.
    Hélas pour eux, ce qui semblait si peu probable se produisit cependant: une patrouille déboucha par surprise, fit feu, puis ce fut un sauvage corps à corps.
    Les soldats bleus étaient très jeunes, menés par un officier de vingt ans et, bien qu’ils sachent se

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