La lanterne des morts
appelée par les Parisiens «barrière du Trône renversé» puis, par petites étapes, ils gagnèrent la Vendée.
Bien qu’elles eussent été jouées apertement, les autorités républicaines minimisèrent l’événement. Les journaux et gazettes, pour la plupart, le passèrent sous silence et comme il fallait un responsable, un général de la garde nationale, grimacier et ragotin, fut accusé de «complicité avec la prêtraille fanatique» et décapité.
Les paroles du policier de la Secrète Pierre-François Gréville ne furent point oubliées. On le savait excellent en son office, on l’estima dès cet instant «indispensable au salut national», le déclarant comme «Ayant bien mérité de la patrie».
On lui donna dès lors les pouvoirs absolument exorbitants qu’impliquait semblable reconnaissance.
En Vendée, Blacfort fut accueilli en héros. Il n’était pas un général qui ne souhaitât le serrer contre sa poitrine et bien des femmes s’offrirent à celui qui «avait permis au Roi de quitter son peuple au son des cloches de Notre-Dame».
D’où venait que quoi qu’il fît, Blacfort était intouchable.
Dans un coin d’un vaste salon, sa maîtresse attitrée, la très belle comtesse Marie-Charlotte de Juignet-Tallouart, se trouvait très penchée en avant, tenant à deux mains un petit secrétaire en bois de violette.
Derrière elle, Blacfort avait relevé la jolie robe de soie de la comtesse, faisant apparaître des fesses laiteuses et rebondies ainsi que des jambes magnifiques gainées de bas blancs. Il la besognait en poussant des grognements tandis qu’elle l’encourageait:
– Sois brutal, prends-moi comme une fille!
Blacfort aimait que l’amour fût vil, vulgaire et violent. Il ne l’envisageait pas même autrement.
Il observait les longs cheveux blonds, le petit chapeau à plumes, les épaules dénudées et fort douces, la peau très blanche, le cou gracieux paré d’une rivière de diamants.
Il en acheva dans un râle tandis que la comtesse poussait un cri perçant. Il eût aimé prolonger cet instant de vide absolu, de béance, où il ressentait comme un éparpillement de son être dans l’infini du cosmos mais les applaudissements des trois autres couples présents l’en empêchèrent.
Il se retira un peu vivement et claqua les fesses de la comtesse qui se retourna, les cheveux blonds en bataille, les grands yeux bleus faussement rageurs et tout encore marqués par le plaisir.
La robe retomba, épousant bien les formes du corps. La Révolution, et peu de femmes s’en plaignaient, avait marqué la fin des robes à cerceaux.
Elle lui sourit. Son teint pâle accentué d’une poudre très blanche, une touche de rouge, une mouche sur la pommette gauche, elle lui sembla presque trop belle.
Elle portait ses présents. La broche de diamants enchâssés dans une monture d’or et la bague, de diamants elle aussi, brillaient du feu allumé dans la cheminée. Rivière, broche et bague, tous ces diamants étaient assortis avec ceux des boucles d’oreilles. Les beaux cheveux blonds, coiffés avec un certain naturel, étaient piqués d’une épingle en diamant, comme il se doit. La coiffure des femmes avait également changé, celles-ci renonçant aux grosses mottes qu’elles élevaient au-dessus de leurs têtes, mélange de postiches et de cheveux naturels qu’on laissait des semaines sans oser les laver.
Comme Blacfort et la comtesse venaient s’asseoir près de leurs amis, le général-comte surprit les regards avides que les hommes portaient sur sa compagne, veuve de fraîche date: la voiture où se trouvait le malheureux comte de Juignet-Tallouart avait en effet malencontreusement versé dans un étang où il se noya… la tête énergiquement maintenue sous l’eau par Germain dit «Gros-blond» et Simon dit «la Douceur».
Un jeune marquis se leva puis, d’un ton prometteur:
– Attention, vous allez voir chose singulière!… Un esprit folâtre, ce qui est naturel puisque c’est celui d’une Bleue.
– Je ne veux point voir de ces poissardes républicaines!… protesta une jeune baronne demi-nue.
– A-t-elle amené avec elle son «Arbre de la Liberté»?… demanda un jeune vicomte.
On rit, mais le jeune marquis précisa:
– Il vous faut l’entendre. Imaginez: elle porte en son ventre un esprit ventriloque surnommé «le Prétentieux» en cela qu’il a un avis sur toutes choses!
Il ouvrit la porte, laissant le passage à une femme de plus de
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