La lanterne des morts
de police était présent, comme à chaque exécution. Il nota mentalement pour son rapport: «Le Peuple ne s’est pas déplacé. On ne vit qu’un seul homme qui ne manifesta ni plaisir, ni réprobation, paraissant indifférent.»
L'homme en question s’éloigna et hâta le pas. Amoureux de Paris, il habitait une jolie maison du faubourg Saint-Jacques au pignon surmonté d’une statue représentant saint Michel terrassant le dragon.
Bien qu’étranger, il commençait à parfaitement connaître la capitale. Il était loin le temps où il apprenait laborieusement: «Paris compte depuis 1702 vingt quartiers aujourd’hui divisés en quarante-huit sections. Les aristocrates logent à l’ouest, les financiers au nord-ouest avec les gens d’affaires, les pauvres au centre, au nord et à l’est. Il y a cinq cents boîtes aux lettres en cette ville, on paye avec un billet de port.»
Et l’émigré, en face de lui dans cette paisible maison londonienne, de constater:
– Remarquable!… Vous apprenez vite, monsieur Dawson!
– C'est mon métier.
– Fort bien. Et vous serez bientôt comme chez vous à Paris.
– Tandis que l’armée anglaise campera sur les Champs-Élysées et aux Tuileries.
– On ne dit plus «les Tuileries», monsieur Dawson, mais le «Jardin national». Prenez garde à ce genre de détails!
– Je m’en souviendrai!… avait bougonné l’Anglais.
Malgré son embonpoint et sa nature en apparence souriante, ensemble qui inspirait la sympathie, Francis William Dawson était un homme redoutable, chef suprême de tous les espions anglais disséminés dans le monde. Il ne rendait compte qu’au roi George III, disposait de fonds considérables et de pouvoirs exorbitants.
Au fond, rien ne l’obligeait à venir à Paris, disposant sur place d’hommes tout à fait compétents. Cependant, il aimait ne pas limiter son travail à la lecture de rapports entre les quatre murs de son bureau. À quoi s’ajoutait que cette Révolution l’intéressait.
Il pénétra «À la Grotte Flamande» où l’on servait de la bière et d’excellents vins. Il passa commande et demeura longtemps rêveur, buvant sa bière à petites gorgées.
Lorsqu’il y réfléchissait, il estimait avoir agi assez finement. Ne niant nullement sa qualité d’Anglais – son accent l’eût au reste trahi – il s’était présenté aux autorités comme «un commerçant avant toutes choses, et surtout bien avant d’être anglais».
En huit mois, malgré le blocus britannique, il avait réussi à faire parvenir deux navires en France. L'affaire le rendit populaire auprès des autorités, la République étant exsangue, à bout de ressources, attaquée partout aux frontières et minée de l’intérieur par le soulèvement vendéen et les nombreux complots et émeutes des fédéralistes et royalistes.
Bien entendu, tout était «arrangé». Les navires n’avaient jamais forcé le blocus mais au contraire bénéficié de la protection de la Royal Navy.
Quant à la marchandise…
Certes, rien n’était vraiment pourri mais chaque chose se révélait médiocre: un blé parfois gâté, laissant des quintaux inutilisables. Le cuir d’une qualité très ordinaire. Des fusils anciens auxquels manquaient parfois des pièces qu’on ne savait trop où se procurer et surtout pas en Angleterre, leur pays d’origine.
Cependant, l’aide était si rare, si comptée, que la République émue et reconnaissante payait Dawson à prix d’or et lui fournissait tout ce que la tracasserie révolutionnaire avait inventé de plus compliqué en matière de laissez-passer.
L'Anglais, davantage par humour que par cynisme, expliquait dans les courriers à son roi qu’à Paris, la République assurait, via ce prétendu commerce de contrebande, la bonne marche et le financement de ses services.
Il doutait, cependant, que cette nouvelle puisse jamais apaiser George III qui détestait la France et les Français en général et l’un d’eux en particulier: le capitaine de vaisseau Joachim de Niel, comte de Valencey et prince d’Adana.
N’eût-il existé que le contentieux issu de la guerre entre l’Angleterre et la France accourue au secours des Insurgents, c’eût été déjà très lourd. Valencey d’Adana avait coulé des dizaines de navires de guerre de la Royal Navy et sur le millier de navires de commerce anglais capturés, combien revenaient au prince?… Et que dire de ces trois magnifiques vaisseaux lourds, des trois-ponts
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