La lanterne des morts
tout l’Ouest s’agite vainement à Fougères. Stofflet ne commande qu’à une petite armée d’Anjou et du haut Poitou. Il s’est installé en forêt de Maulévrier, veut battre monnaie, y installer des entrepôts à blé, une imprimerie, un hôpital et un arsenal. Les Bleus le laisseront faire et prendre ses aises. Et puis un jour, il n’en pourra plus sortir et un autre jour, la forêt de Maulévrier sera investie par des dizaines de milliers de républicains. Stofflet est stupide!… Les temps changent, en Vendée. C'en est fini des messes dans les granges, les greniers, les caves ou au fond des forêts. On y place des guetteurs?… Les escouades d’élite des républicains les égorgent. On organise au petit jour des rassemblements sur les plages: les républicains surgissent des dunes. C'en est achevé, vous dis-je. La petite fermette vendéenne tassée au bord d’un chemin creux bordé d’arbres, et où nos paysans attendaient parfois à cinquante pour attaquer?… Les républicains y mettent le feu par principe et de combat, il n’est point. Ils brûlent tout!… Les nôtres attaquaient la nuit?… Les Bleus surgissent à la brune avec leurs torches pour incendier les fermes et fusiller ceux qui en sortent. Nous avons besoin de Blacfort. À présent ce sera: tout l’or et tous les hommes pour Blacfort!
– Je… Je crois que je vous ai compris.
– Je n’en suis guère surpris: avec vous, ce n’est jamais qu’une question de temps!… répondit le futur roi appelé à mourir dans l’indifférence au futur roi qui devait finir ses jours en exil.
– Que j’ai de grâces à vous rendre, monsieur, mais ma décision est prise: je pars!
Le baron de Penchemel regarda Victoire avec surprise:
– Mais quand?
– Demain, tout de suite, je ne sais mais je ne puis plus attendre.
– Mais où irez-vous?
– Je ne sais pas. Chez moi, en Charente. Ou à Paris. Oui, à Paris car c’est là qu’il ira un jour.
– Ce n’est point la même chose.
Elle lui prit les mains.
– Je meurs de savoir où il se trouve et, malgré votre gentillesse, j’ai besoin de bouger, de chercher par moi-même.
Il la fit asseoir avec une douce fermeté:
– Stofflet a repris l’offensive avec succès. Blacfort, vous l’avez lu dans les gazettes, fait parler de lui. Je suis en la conviction profonde que cette fois, la République veut en finir, et pas seulement en utilisant les «colonnes infernales» du général Turreau. Le prince aura sans doute prolongé sa mission…
– Je veux savoir!… implora-t-elle.
– Bien!… Vous partirez donc. Je faciliterai même votre départ. Mais laissez-moi une semaine, rien qu’une semaine pour que j’organise tout cela au mieux.
Elle baissa la tête.
– Soit. Une semaine. Mais pas un jour de plus.
35
L'abbé, nuque tondue, attendait en tremblant, blotti contre la porte.
Joseph Lemaire, le vieux gardien qui avait offert le chien à Valencey d’Adana, suggéra d’une voix douce:
– Serait-ce votre tour, monsieur le capitaine?
Une à deux secondes, imperceptibles aux autres, la résolution du prince vacilla avec cette pensée: «Cette fois, c’est la bonne!» Mais son double, celui qui devait toujours être exemplaire afin de prendre un peu du fardeau des autres, ce double se leva avec souplesse et répondit d’une voix joyeuse:
– Mais très certainement, citoyen!
Il n’en fut pas conscient, trop occupé à se surveiller, mais tous admirèrent sa superbe, y compris Mahé qui songea: «Il m’a appris à vivre, il m’apprend à mourir…»
Le jeune gardien, qui faisait office de coiffeur et avait été un temps barbier, lui dit d’un ton grave:
– Tu es admirablement rasé, citoyen!
– J’ai appris comme beaucoup, durant la guerre d’Amérique. Tu as davantage d’avenir dans les prisons que chez les barbiers, jeune homme!
Le regard du «coiffeur» manifesta une réelle incompréhension:
– Mais à quoi bon te si bien raser puisque tu vas mourir?…
Une froide lueur traversa fugitivement le regard de Valencey d’Adana:
– Aux temps jadis, on demanda son dernier désir à un des mes ancêtres, compagnon d’Henri IV, qui allait être pendu par ordre d’Henri III. Il répondit: «Qu’on me rase, et de près, je ne veux point être un pendu qui fasse enfuir les petits enfants et effarouche les belles dames.»
Mahé, rasé avec soin lui aussi, et pareillement O'Shea, s’approcha:
– C'est une manière d’élégance, citoyen, et la
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