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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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étang, le soir, quand il fait chaud.
    Il y avait des mères bossues portant des enfants bossus, tandis
que d’autres petits de même couvée s’attachaient à leurs jupes. Et
il y avait des bossus sur les collines et des bossus dans les
plaines. Et partout sur le ciel clair, Ulenspiegel voyait se
dessiner leurs maigres silhouettes.
    Il alla à l’un d’eux et lui dit :
    – Où vont tout ces pauvres hommes, femmes et enfants ?
    L’homme répondit :
    – Nous allons au tombeau de Monsieur saint Remacle, le prier de
nous donner ce que notre cœur désire, en ôtant de notre dos son
paquet d’humiliation.
    Ulenspiegel repartit :
    – Monsieur saint Remacle pourrait-il me donner aussi ce que mon
cœur désire, en ôtant du dos des pauvres communes le duc de sang,
qui y pèse comme une bosse de plomb ?
    – Il n’a point charge d’enlever les bosses de pénitence,
répondit le pèlerin.
    – En enleva-t-il quelques autres ? demanda Ulenspiegel.
    – Oui, quand les bosses sont jeunes. Si alors se fait le miracle
de guérison, nous menons noces et festins par toute la ville. Et
chaque pèlerin donne une pièce d’argent, et souventes fois un
florin d’or au bienheureux guéri, devenu saint de ce fait et
pouvant efficacement prier pour les autres.
    Ulenspiegel dit :
    – Pourquoi le riche monsieur saint Remacle fait-il comme traître
apothicaire payer les guérisons ?
    – Piéton impie, il punit les blasphémateurs ! répondit le
pèlerin secouant sa bosse furieusement.
    – Las ! geignit Ulenspiegel.
    Et il tomba courbé au pied d’un arbre.
    Le pèlerin, le considérant, disait :
    – Monsieur saint Remacle frappe bien ceux qu’il frappe.
    Ulenspiegel courbait le dos, et s’y grattant geignait :
    – Glorieux saint, ayez pitié. C’est le châtiment. Je sens entre
les épaules douleur cuisante. Las ! aïe ! Pardon,
monsieur saint Remacle. Va, pèlerin, va, laisse-moi seul ici, comme
parricide, pleurer et me repentir.
    Mais le pèlerin s’était enfui jusques à la Grand’Place de
Bouillon, ou tous les bossus se trouvaient rassemblés.
    La, frissant de peur, il leur dit, parlant par
saccades :
    – Rencontré pèlerin droit comme peuplier… pèlerin blasphémateur…
bosse dans le dos… bosse enflammée !
    Ce qu’entendant les pèlerins, ils poussèrent mille clameurs
joyeuses disant :
    – Monsieur saint Remacle, si vous donnez des bosses, vous en
pouvez ôter. Ôtez nos bosses, Monsieur saint Remacle !
    Dans l’entre-temps, Ulenspiegel quitta son arbre. En passant par
le faubourg désert, il vit, à la porte basse d’une taverne deux
vessies se balançant à un bâton, vessies de cochon, ainsi
accrochées en signe de kermesse à boudins,
panch kermis
,
comme l’on dit au pays de Brabant.
    Ulenspiegel prit une des deux vessies, ramassa par terre l’épine
dorsale d’une
schol
, les Français disent plie sèche, se
saigna, fit couler de son sang dans la vessie, la gonfla, la ferma,
la mit sur le dos et par-dessus, plaça l’épine dorsale de la
schol
. Ainsi accoutré, le dos voûté, le chef branlant et
les jambes flageolantes comme un vieux bossu, il vint sur la
place.
    Le pèlerin témoin de sa chute l’aperçut et cria :
    – Voici le blasphémateur.
    Et il le montra du doigt. Et tous de courir pour voir
l’affligé.
    Ulenspiegel hochait la tête piteusement :
    – Ah ! disait-il, je ne mérite grâce ni pitié ;
tuez-moi comme un chien enragé.
    Et les bossus, se frottant les mains, disaient :
    – Un de plus en notre confrérie.
    Ulenspiegel, marmonnant entre ses dents : « Je vous le
ferai payer, méchants », paraissait tout supporter patiemment,
et disait :
    – Je ne mangerai ni ne boirai, même pour raffermir ma bosse,
jusqu’à ce que monsieur saint Remacle m’ait voulu guérir comme il
m’a frappé.
    Au bruit du miracle, le doyen sortit de l’église. C’était un
homme grand, pansard et majestueux. Le nez au vent, il fendit comme
un navire le flot des bossus.
    On lui montra Ulenspiegel, il lui dit :
    – Est-ce toi, bonhommet, qu’a frappé le fléau de saint
Remacle ?
    – Oui messire doyen, répondit Ulenspiegel, c’est moi en effet
son humble adorateur qui veut se faire guérir de sa bosse neuve,
s’il lui plaît.
    Le doyen, flairant sous ce propos quelque malice :
    – Laisse-moi, dit-il, tâter cette bosse.
    – Tâtez, Messire, répondit Ulenspiegel.
    Ce qu’ayant fait, le doyen :
    – Elle est, dit-il, de date fraîche et mouillée.

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