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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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L’orange est par terre.
    – Oui, dit Ulenspiegel, par terre, comme le chêne ; mais
avec le chêne on construit les navires de liberté !
    – À son profit, dit Lamme. Mais puisqu’il n’y a plus nul danger,
rachetons des ânes. J’aime à marcher assis, moi, et sans avoir aux
plantes des pieds un carillon de cloches.
    – Achetons-nous des ânes, dit Ulenspiegel ; ces animaux
sont de facile revente.
    Ils allèrent au marché et y trouvèrent, en les payant, deux
beaux ânes et leur harnachement.

XXXIX
     
    Comme ils califourchonnaient jambe de-ci, jambe de-là, ils
vinrent à Oost-Camp, où est un grand bois dont la lisière touchait
au canal
    Y cherchant l’ombre et les douces senteurs, ils y entrèrent,
sans rien voir que les longues allées allant en tous sens vers
Bruges, Gand, la Zuid et la Noord-Vlaenderen.
    Soudain Ulenspiegel sauta à bas de son âne.
    – Ne vois-tu rien là-bas ?
    Lamme dit :
    – Oui, je vois. Et tremblant : Ma femme, ma bonne
femme ! C’est elle, mon fils. Ha ! je ne saurais marcher
à elle. La retrouver ainsi !
    – De quoi te plains-tu ? dit Ulenspiegel. Elle est belle
ainsi demi-nue dans ce pourpoint de mousseline tailladée à jour qui
laisse voir la chair fraîche. Celle-ci est trop jeune, ce n’est pas
ta femme.
    – Mon fils, dit Lamme, c’est elle, mon fils ; je la
reconnais. Porte-moi je ne sais plus marcher. Qui l’aurait pensé
d’elle ? Danser ainsi vêtue en Egyptienne, sans pudeur !
Oui, c’est elle ; vois ces jambes fines, ses bras nus jusques
à l’épaule, ses seins ronds et dorés sortant à demi de son
pourpoint de mousseline. Vois comme elle agace avec ce drapeau
rouge ce grand chien sautant après.
    – C’est un chien d’Egypte, dit Ulenspiegel ; le Pays-Bas
n’en donne point de cette sorte.
    – Egypte. je ne sais. Mais c’est elle. Ha ! mon fils, je
n’y vois plus. Elle retrousse plus haut son haut-de-chausses pour
faire plus haut voir ses jambes rondes. Elle rit pour montrer ses
blanches dents, et aux éclats pour faire entendre le son de sa voix
douce. Elle ouvre par le haut son pourpoint et se rejette en
arrière. Ha ! ce cou de cygne amoureux, ces épaules nues, ces
yeux clairs et hardis ! Je cours à elle.
    Et il sauta de son âne.
    Mais Ulenspiegel l’arrêtant :
    – Cette fillette, dit-il, n’est point ta femme. Nous sommes près
d’un camp d’Egyptiens. Garde-toi. Vois-tu la fumée derrière les
arbres ? Entends-tu les aboiements des chiens ? Tiens, en
voici quelques-uns qui nous regardent, prêts à mordre peut-être.
Cachons-nous mieux dans le fourré.
    – Je ne me cacherai point, dit Lamme ; cette femme est
mienne, flamande comme nous.
    – Fol aveugle, dit Ulenspiegel.
    – Aveugle, non ! Je la vois danser, demi-nue, riant et
agaçant ce grand chien. Elle fait mine de ne pas nous voir. Mais
elle nous voit, je te l’assure. Thyl, Thyl ! voilà le chien se
jette sur elle et la renverse pour avoir le drapeau rouge. Et elle
tombe en jetant un cri plaintif.
    Et Lamme tout soudain s’élança vers elle, lui disant :
    – Ma femme, ma femme ! Où t’es-tu fait mal, mignonne ?
Pourquoi ris-tu aux éclats ? Tes yeux sont hagards.
    Et il l’embrassait, la caressait et dit :
    – Cette marque de beauté que tu avais sous le sein gauche. Je ne
la vois point. Où est-elle ? Tu n’est point ma femme. Grand
Dieu du ciel !
    Et elle ne cessait de rire.
    Soudain Ulenspiegel cria :
    – Garde-toi, Lamme.
    Et Lamme, se retournant, vit devant lui un grand moricaud
d’Egyptien, de maigre trogne, brun comme
peper-koek
, qui
est pain d’épices au pays de France.
    Lamme ramassa son épieu, et se mettant en défense, il
cria :
    – À la rescousse, Ulenspiegel !
    Ulenspiegel était là avec sa bonne épée.
    L’Egyptien lui dit en haut-allemand :
    –
Gibt mi ghelt, ein Richsthaler auf
tsein
. (Donne-moi de l’argent, un ricksdaelder ou
dix).
    – Vois, dit Ulenspiegel, la fillette s’en va riant aux éclats et
se retournant sans cesse, pour demander qu’on la suive.
    –
Gibt mi ghelt
, dit l’homme. Paye tes
amours. Nous sommes pauvres et ne te voulons nul mal.
    Lamme lui donna un carolus.
    – Quel métier fais-tu ? dit Ulenspiegel.
    – Tous, répondit l’Egyptien : étant maîtres ès arts de
souplesses, nous faisons des tours merveilleux et magiques. Nous
jouons du tambourin et dansons les danses de Hongrie. Il en est
plus d’un parmi nous qui fait des cages et des grils à rôtir les
belles

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