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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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carbonnades. Mais tous, Flamands et Wallons, ont peur de
nous et nous chassent. Ne pouvant vivre de gain, nous vivons de
maraudage, c’est-à-dire de légumes, de chair et de volailles qu’il
nous faut prendre au paysan, puisqu’il ne veut ni nous les donner
ni vendre.
    Lamme lui dit :
    – D’où vient cette fillette, qui ressemble si fort à ma
femme ?
    – Elle est fille de notre chef, dit le moricaud.
    Puis, parlant bas comme peureux :
    – Elle fut frappée par Dieu du mal d’amour et ignore pudeur de
femme. Sitôt qu’elle voit un homme, elle entre en gaieté et folie
et rit sans cesse. Elle parle peu, on la crut muette longtemps. Là
nuit, dolente, elle reste devant le feu, pleurant parfois ou riant
sans cause et montrant son ventre, où elle a mal, dit-elle. À
l’heure de midi, après le repas, sa plus vive folie la prend. Alors
elle va danser presque nue aux environs du camp. Elle ne veut
porter que des vêtements de tulle ou de mousseline, et l’hiver, à
grand’peine la couvrons-nous d’un manteau de drap de chèvre.
    – Mais, dut Lamme, n’a-t-elle point quelque ami pour l’empêcher
de s’abandonner ainsi à tout venant ?
    – Elle n’en a point, dit l’homme, car les voyageurs,
s’approchant d’elle et considérant ses yeux affolés, ont pour elle
plus de peur que d’amour. Ce gros homme fut hardi, dit-il, montrant
Lamme.
    – Laisse-le dire, mon fils, répliqua Ulenspiegel, c’est le
stockvisch
qui parle mal de la baleine. Quel est celui des
deux qui donne le plus d’huile ?
    – Tu as la langue aigre ce matin, dit Lamme.
    Mais Ulenspiegel, sans l’écouter, dit à l’Egyptien :
    – Que fait-elle lorsque d’autres sont hardis comme mon ami
Lamme ?
    L’Egyptien répondit tristement :
    – Alors elle a plaisir et profit. Ceux qui l’obtiennent paient
leur joie, et l’argent sert à l’habiller et aussi aux besoins des
vieillards et des femmes.
    – Elle n’obéit donc à personne ? dit Lamme.
    L’Egyptien répondit :
    – Laissons faire leur vouloir à ceux que Dieu frappe. Il marque
ainsi sa volonté. Et telle est notre loi.
    Ulenspiegel et Lamme s’en furent. Et l’Egyptien s’en retourna
grave et hautain à son camp. Et la fillette, riant aux éclats,
dansait dans la clairière.

XL
     
    Chemin faisant vers Bruges, Ulenspiegel dit à Lamme.
    – Nous avons dépensé une grosse somme d’argent en engagements de
soudards, payement aux happe-chair, don à l’Egyptienne et en ces
innombrables
olie-koekjes
qu’il te plaisait de manger sans
cesse plutôt que d’en vendre une seule. Or, nonobstant ta ventrale
volonté, il est temps de vivre plus honnêtement. Baille-moi ton
argent, je garderai la bourse commune.
    – Je le veux, dit Lamme. Et le lui donnant : Ne me laisse
point toutefois mourir de faim, dit-il ; car songes-y, gros et
puissant comme je le suis, il me faut une substantielle et
abondante nourriture. C’est bon à toi, maigre et chétif, de vivre
au jour le jour, mangeant ou ne mangeant point ce que tu trouves,
comme les planches qui vivent d’air et de pluie sur les quais. Mais
moi, que l’air creuse et que la pluie affame, il me faut d’autres
festins.
    – Tu les auras, dit Ulenspiegel, festins de vertueux carêmes.
Les panses les mieux remplies n’y résistent point ; se
dégonflant peu à peu, elles rendent léger l’homme le plus lourd. Et
l’on verra bientôt, dégraissé suffisamment, courir comme un cerf,
Lamme mon mignon.
    – Las ! disait Lamme, quel sera désormais mon maigre
sort ? J’ai faim, mon fils, et voudrais souper.
    Le soir tombait. Ils arrivèrent à Bruges par la porte de Gand.
Ils montrèrent leurs passes. Ayant dû payer un demi-sol pour eux et
deux pour leurs ânes, ils entrèrent en ville ; Lamme, songeant
aux paroles d’Ulenspiegel, semblait navré :
    – Souperons-nous bientôt ? dit-il.
    – Oui, répondait Ulenspiegel.
    Ils descendirent
in de Meermin
, à la Sirène, girouette,
qui, tout en or, est placée au-dessus du pignon de l’auberge.
    Ils mirent leurs ânes à l’écurie, et Ulenspiegel commanda pour
son souper et pour celui de Lamme du pain, de la bière et du
fromage.
    L’hôte ricanait en servant ce maigre repas : Lamme mangeait
à longues dents, regardant avec désespoir Ulenspiegel besognant des
mâchoires sur le pain trop vieux et le fromage trop jeune comme si
c’eût été des ortolans. Et Lamme buvait sa petite bière sans
plaisir. Ulenspiegel riait de le voir si dolent. Et il

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