La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
couper les cuisses des pendus et les emporter pour y mordre
à belles dents et être ainsi infâme voleuse et sacrilège ? Et
je demande au tribunal qu’afin de savoir si Katheline et Joos
Damman n’ont commis nul autre crime que ceux connus et recherchés
déjà, ils soient tous deux mis à la torture. Joos Damman refusant
d’avouer rien de plus que le meurtre et Katheline n’ayant point
tout dit, les lois de l’empire nous mandent de procéder ainsi que
je l’indique.
Et les échevins rendirent la sentence de torture pour le
vendredi, qui était le surlendemain
Et Nele criait : « Grâce, messeigneurs ! »
et le peuple criait avec elle. Mais ce fut en vain.
Et Katheline, regardant Joos Damman, disait :
– J’ai la main d’Hilbert, viens la prendre cette nuit, mon
aimé.
Et ils furent ramenés dans la prison.
Là, par ordre du tribunal, il fut commandé au geôlier de leur
donner à chacun deux gardiens, qui les battraient chaque fois
qu’ils voudraient s’endormir ; mais les deux gardiens de
Katheline la laissèrent dormir la nuit et ceux de Joos Damman le
battaient cruellement chaque fois qu’il fermait les yeux ou
penchait seulement la tête.
Ils eurent faim toute la journée du mercredi, la nuit et tout le
jeudi jusqu’au soir, où on leur donna à manger et à boire, de la
viande salée et salpêtrée et de l’eau salée et salpêtrée
pareillement. Ce fut le commencement de leur torture. Et au matin,
criant la soif, les sergents les menèrent dans la chambre de
géhenne.
Là, ils furent placés l’un en face de l’autre et liés chacun sur
un banc couvert de cordes à nœuds qui les faisaient souffrir
grièvement.
Et ils durent boire chacun un verre d’eau salée et
salpêtrée.
Joos Damman commençant à s’endormir sur le banc, les sergents le
frappèrent.
Et Katheline disait :
– Ne le frappez point, messieurs, vous brisez son pauvre corps.
Il ne commit qu’un seul crime, par amour, quand il tua Hilbert.
J’ai soif et toi aussi, Hans, mon aimé. Baillez-lui à boire
premièrement. De l’eau ! de l’eau ! le corps me brûle.
Epargnez-le, je mourrai tantôt pour lui. À boire !
Joos lui dit :
– Laide sorcière, meurs et crève comme une chienne. Jetez-la au
feu, messieurs les juges. J’ai soif !
Les greffiers écrivaient toutes ses paroles.
Le bailli alors lui dit :
– N’as-tu rien à avouer ?
– Je n’ai rien à dire, répondit Damman ; vous savez
tout.
– Puisque, dit le bailli, il persiste en ses dénégations, il
restera jusqu’à nouvel et complet aveu sur ces bancs et sur ces
cordes, et il aura soif, et il sera empêché de dormir.
– Je resterai, dit Joos Damman, et prendrai mon plaisir à
regarder cette sorcière souffrir sur ce banc. Comment trouves-tu le
lit de noces, mon amoureuse ?
Et Katheline répondait, gémissant :
– Bras froids et cœur chaud, Hans, mon aimé. J’ai soif, la tête
me brûle !
– Et toi, femme, dit le bailli, n’as-tu rien à dire ?
– J’entends, dit-elle, le chariot de la mort et le bruit sec
d’os. J’ai soif ! Et elle me mène en un grand fleuve, où il y
a de l’eau de l’eau fraîche et claire ; mais cette eau, c’est
du feu. Hans, mon ami, délivre-moi de ces cordes. Oui, je suis en
purgatoire, et je vois en haut monseigneur Jésus dans son paradis
et madame la Vierge si miséricordieuse. Oh ! notre chère Dame,
donnez-moi une goutte d’eau ; ne mordez point seule en ces
beaux fruits.
– Cette femme est frappée de cruelle folie, dit l’un des
échevins. Il la faut ôter du banc de torture.
– Elle n’est pas plus folle que moi, dit Joos Damman, c’est pur
jeu et comédie. Et d’une voix menaçante : Je te verrai dans le
feu, dit-il à Katheline, qui joues si bien l’affolée.
Et grinçant des dents, il rit de son cruel mensonge.
– J’ai soif, disait Katheline, ayez pitié, j’ai soif. Hans, mon
aimé, donne-moi à boire. Comme ton visage est blanc !
Laissez-moi aller à lui, messieurs les juges. Et ouvrant la bouche
toute grande : Oui, oui, ils mettent le feu maintenant dans ma
poitrine, et les diables m’attachent sur ce lit cruel. Hans, prends
ton épée et tue-les, toi si puissant. De l’eau, à boire ! à
boire !
– Crève, sorcière, dit Joos Damman : il lui faudrait mettre
une poire d’angoisse dans la bouche afin de l’empêcher de s’élever
ainsi, elle manante, contre moi noble homme.
À ce propos, un échevin ennemi de noblesse,
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