La Légion Des Damnés
quatre heures du matin, nous stoppâmes en lisière d'un bosquet. On coupa les moteurs et un silence lourd pesa sur nos épaules. Du cœur de la nuit ne jaillissait plus que le bégaiement comique, intermittent, des « moulins à café ». De temps à autre, descendait un brûlot parachuté qui éclairait le secteur aussi brillamment qu'un soleil miniature.
Tandis que nos officiers recevaient nos ordres de bataille des autorités régimentaires, tout le monde essaya de dormir, plié en quatre sur le fond métallique du tank. Nous avions à peine fermé l'œil qu'il fallut se remettre en position. Nos chefs de sections nous distribuèrent les ordres.
Operette à grand spectacle
LE 27 e Régiment blindé, conjointement aux 4 e , 18 e et 21 e Divisions, va monter à l'attaque des positions russes de Serpuchow, au nord de Thula. Ces positions doivent être enfoncées afin de permettre une plongée en profondeur vers Moscou. Le régiment de chars lourds de la 12 e Panzer Division va prendre la tête de l'offensive avec les fantassins SS en réserve sur le flanc droit. Notre compagnie sera placée à l'extrême pointe de l'aile gauche et devra s'infiltrer derrière les positions ennemies afin d'ouvrir le chemin aux compagnies de réserve. La compagnie 3 sera la compagnie de tête.
— Honneur à la mémoire de la compagnie 3 ! ricana Porta.
— Notre objectif est un village en ruine situé juste au-delà de la ligne principale de combat. Des Panzer-Grenadiers du 104 e Régiment de Fusiliers nous rejoindront pour monter à l'assaut sous le couvert de nos tanks. Je résume :
» 6 h 40 : les Stukas attaquent.
» 6 h 48 : la compagnie 3 attaque.
» 6 h 51 : notre compagnie suit la 3.
» A 6 h 30, un violent tir de barrage sera déclenché à trois kilomètres en arrière de l'ennemi. »
C'était un spectacle magnifique. Des projectiles traçants de toutes les couleurs traversaient le ciel en sifflant. Bois et villages flambaient à l'horizon, projetant sur les nuages leurs réverbérations pourpres. Des obus éclataient çà et là, clairsemant la nuit d'éclairs blancs, mais ces explosions dispersées ne nous empêchaient pas de sentir dans nos moelles la profondeur de ce silence absolu qui précède l'ouragan. Parfois aussi crépitait rageusement une mitrailleuse, dont les balles s'éparpillaient dans les ruines, autour de nous.
Oui, c'était un spectacle magnifique... Car une bataille organisée est le spectacle par excellence — demandez plutôt aux metteurs en scène de cinéma — le bouquet du feu d'artifice, l'attraction-vedette, le grand finale, l'apothéose du drame. La guerre avec son appréhension prolongée, sa saleté, sa famine, sa misère rien moins qu'héroïque, atteint enfin son paroxysme dans un déploiement surhumain de splendeur et de sauvagerie.
Le Vieux m'avait souvent parlé d'attaques de blindés au cours desquelles des vingtaines de tanks étaient incendiés par les canons antichars de l'ennemi, cuisant à l'étuve leurs équipages emprisonnés à l'intérieur. On m'avait également dit, bien des fois, que prendre la tête d'une offensive était une entreprise dont bien peu ramenaient leur peau. Et naturellement, nous autres bataillons disciplinaires, nous serions toujours bons pour passer les premiers.
— Eh ! Sven, tu as écrit quelques mots d'adieu à l'intention de ta mère et de ta bien-aimée ?
Coupant le fil de mes pensées macabres, la voix grave du Vieux me fit sursauter. Je griffonnai quelques mots sur un bout de papier, à hauteur du tableau de bord. Quand ce fut fait, Porta me tendit une bouteille et me dit avec son habituel sourire de gargouille :
— Bois un peu de mon courage, fiston, et tu te rappelleras plus que c'est pas des obus à blanc qu'ils nous balancent sur la gueule. Tu te croiras à l'exercice.
Le courage de Porta était de l'alcool à 96° chapardé à l'infirmerie. Je devais en boire bien souvent, par la suite, mais jamais pur. Porta éclata de rire en voyant mon visage.
— Excuse-moi ! J'ai oublié de te dire de planquer ta glotte et d'avaler sans goûter !
A ma stupéfaction intense, Tom Pouce s'empara de la bouteille et la téta posément, sans broncher davantage qu'un nourrisson prenant son biberon. Porta dut lui arracher le flacon.
— Ça suffit, espèce de trou sans fond ! Laisses-en un peu pour les copains !
Tom Pouce rota bruyamment.
— Merci, Porta. Si j'arrive là-haut avant toi, je mobiliserai une chorale d'anges pour te
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