LA LETTRE ÉCARLATE
des gens se refusaient à donner à la lettre A sa signification première. Ils disaient qu’elle voulait dire « Active » tant Hester était forte de toutes les forces de la femme et les prodiguait.
C’était seulement les maisons assombries qui la voyaient en leurs murs. Quand le soleil revenait, Hester n’était plus là. La visiteuse secourable était partie sans jeter un regard en arrière pour recueillir un remerciement s’il s’en trouvait pour elle chez ceux qu’elle venait de servir avec tant de zèle. Lorsqu’elle les rencontrait ensuite dans la rue, elle ne levait jamais la tête pour recevoir d’eux un salut. S’ils allaient à elle, décidés à l’aborder, elle posait le doigt sur la lettre écarlate et passait. C’était peut-être de l’orgueil, mais cela ressemblait trop à de l’humilité pour ne pas produire le même effet adoucissant sur l’esprit du public. Le public est despotique. Il est capable de se refuser à rendre la plus élémentaire justice quand on la réclame comme un droit. Mais il accordera tout aussi souvent plus que la simple justice quand on aura l’air de faire appel – comme les despotes aiment qu’on le fasse – à sa seule générosité. Interprétant l’attitude d’Hester comme un appel de cette nature, la société inclinait à se montrer envers son ancienne victime plus bienveillante que celle-ci ne s’en souciait ou peut-être même ne le méritait.
Les chefs de la communauté et ses plus sages et savants membres mirent plus longtemps que le peuple à se laisser influencer par les qualités d’Hester. Les préjugés qu’ils partageaient avec le vulgaire étaient renforcés, chez eux, par l’armature de fer de raisonnements qui les rendaient beaucoup plus inébranlables. À mesure que les jours passaient, cependant, leurs rides rigides se détendirent, leur prêtant une expression de bonté. Ainsi en allait-il chez les gens haut placés que leur position rendait obligatoirement gardiens de la moralité publique. Les particuliers, en attendant, avaient tout à fait pardonné à Hester Prynne sa faiblesse. Bien mieux, ils s’étaient mis à regarder la lettre écarlate non plus comme le symbole du péché dont Hester depuis si longtemps faisait si durement pénitence, mais comme celui de ses bonnes actions.
– Voyez-vous cette femme qui porte ce signe brodé ? demandaient-ils aux étrangers, c’est Hester, notre Hester, une femme qui est si bonne pour les pauvres ! qui soigne si bien les malades ! qui apporte tant de consolations aux affligés !
Ensuite, il est vrai, la tendance qui veut que la nature humaine aille colporter sur elle le pire, quand il s’incarne dans la personne d’un autre, les poussait à conter à voix basse le noir scandale d’autrefois. Il n’en demeurait pas moins qu’aux yeux des hommes mêmes qui parlaient ainsi la lettre écarlate produisait l’effet d’une croix sur la poitrine d’une religieuse. Elle communiquait à celle qui la portait une sorte de caractère sacré qui lui aurait permis de marcher sans risque au milieu de n’importe quels périls. Si Hester Prynne était tombée parmi une bande de voleurs, la lettre écarlate l’eût préservée de tout mal. On racontait, et on croyait, qu’un Indien avait lancé une flèche contre ce signe et que le projectile avait touché son but mais pour tomber, inoffensif, sur le sol.
Ce symbole – ou plutôt la situation qu’il indiquait par rapport à la société – exerçait sur Hester elle-même un effet puissant et très particulier. Toutes les légères et gracieuses floraisons qui avaient orné son caractère, flétries sous cette marque au fer rouge étaient depuis longtemps tombées. Elles laissaient à leur place des contours nus et rugueux qui auraient pu être repoussants si Hester avait eu autour d’elle parents ou amis pour y être sensibles. Le charme de son apparence physique même avait subi un changement du même genre. Cela pouvait en partie venir de l’austérité voulue de son costume et de la rigoureuse retenue de ses manières. Une chose qui la transformait d’ailleurs bien tristement aussi était la disparition de sa belle et abondante chevelure. Ou elle avait été coupée, ou elle était si complètement cachée sous une coiffe qu’aucune de ses boucles brillantes ne se laissait plus voir au soleil. Toutes ces raisons expliquaient en partie la transformation d’Hester. Pourtant, s’il ne semblait plus rien y avoir sur
Weitere Kostenlose Bücher