LA LETTRE ÉCARLATE
gens de la ville, il montrait la tranquillité marmoréenne qu’on avait l’habitude de lui voir. Il évoquait un masque, ou plutôt le calme glacé des traits d’une morte. Il devait cette sinistre ressemblance au fait qu’Hester était vraiment morte en tant qu’être vibrant à l’unisson des autres et s’en était allée du monde dont elle semblait continuer de faire partie.
Peut-être en ce jour y avait-il pourtant sur ce visage une expression qu’on n’y avait jamais vue. Elle n’était du reste pas assez vive pour être remarquée. Seul y aurait été sensible un observateur surnaturellement doué qui aurait cherché dans l’apparence d’Hester un reflet correspondant à ce qu’il aurait pu lire en son cœur. Pareil voyant aurait été à même de se rendre compte qu’après avoir supporté pendant sept longues années le regard de la multitude comme une nécessité, une pénitence, une chose qu’une dure religion l’obligeait à endurer, cette femme s’y exposait en ce moment de son plein gré afin de convertir ce qui avait été une si longue épreuve en une façon de triomphe :
– Regardez pour la dernière fois la lettre écarlate et celle qui la porte ! aurait pu dire au peuple sa victime qu’il croyait pour toujours son esclave. Un petit moment encore et elle sera hors d’atteinte ! Quelques heures de plus et le profond, le mystérieux océan recevra et cachera à jamais ce symbole que vous avez fait brûler sur cette poitrine !
Et, par une inconséquence non trop invraisemblable pour être prêtée à la nature humaine, Hester n’était sans doute pas sans ressentir un regret à l’instant où elle allait se libérer d’une souffrance qui s’était mise à faire si profondément corps avec elle. Ne se pouvait-il qu’elle eût éprouvé un irrésistible désir de boire une dernière longue gorgée à la coupe d’aloès et d’absinthe qui avait abreuvé les années de presque tout son temps de femme ? Le vin de vie qui serait désormais offert à ses lèvres aurait, en vérité, besoin d’être fort, exquis et revigorant. Sinon il la laisserait languissante après la lie de cette amertume qu’elle avait absorbée comme un cordial entre tous puissant.
Pearl était parée avec une gaieté aérienne. Il eût été impossible de deviner que cette apparition ensoleillée devait son existence à la mélancolique femme en gris. Impossible aussi de s’aviser que la fantaisie, à la fois si magnifique et si délicate, qui avait dû être nécessaire pour combiner les atours de l’enfant était la même que celle qui avait accompli la tâche, sans doute plus difficile, de donner un caractère si particulier au costume terne de la mère.
La robe de Pearl lui convenait si bien qu’on l’aurait prise pour une émanation de la petite fille, ou pour un développement nécessaire, une manifestation extérieure de son caractère, une qualité bien à elle qu’il n’était pas plus question de lui enlever que d’enlever son coloris vif et multiple à l’aile d’un papillon, ou son lustre satiné au pétale d’une fleur. Son costume ne faisait qu’un avec sa nature. En ce jour prometteur d’événements, Pearl manifestait en sus une inquiétude, une surexcitation singulières qui ne ressemblaient à rien tant qu’au scintillement du diamant qui fulgure au rythme précipité de la poitrine qui le met en valeur. Les enfants sont toujours sensibles à l’agitation de leurs proches, éprouvent toujours, en particulier, comme un pressentiment quand quelque chose menace la tranquillité du train-train domestique. Aussi Pearl, née d’une mère en désarroi, trahissait-elle par l’exubérance même de son entrain ce que nul ne pouvait déchiffrer, ce matin-là, sous la passivité marmoréenne du front d’Hester.
Cet état d’effervescence donnait à la petite fille des mouvements d’oiseau, la faisait voleter plutôt que marcher aux côtés de sa mère. À tout instant, elle lançait des exclamations, des paroles inarticulées, chantonnait sur le mode aigu. Quand sa mère et elle arrivèrent sur la Place du Marché, Pearl s’agita de plus belle devant le remue-ménage et la bousculade qui animaient l’endroit – lequel ressemblait plutôt d’habitude à une vaste et déserte place de village qu’au centre d’une ville.
– Que se passe-t-il, Mère, s’écria-t-elle. Pourquoi les gens ont-ils tous laissé leur travail aujourd’hui ? Est-ce récréation pour le
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