LA LETTRE ÉCARLATE
leurs chapeaux de feuilles de palmiers brillaient des yeux qui, même lorsqu’il n’était question que de bonhomie ou de joviale humeur, avaient une expression de férocité animale. Ils désobéissaient sans crainte ni vergogne aux règles de conduite qui faisaient plier tous les autres : fumaient du tabac sous le nez même du prévôt, alors que chaque bouffée aurait coûté à un habitant de la ville un shilling d’amende ; buvaient à longs traits, quand l’envie les prenait, le vin et l’eau-de-vie de leurs gourdes de poche qu’ils tendaient ensuite libéralement à la foule béant autour d’eux. C’était un trait caractéristique de l’imparfaite moralité de ces temps, que nous appelons rigides : on tolérait chez les gens de mer non seulement les incartades qu’ils se permettaient à terre, mais des actes autrement plus graves qu’ils commettaient sur leur propre élément. Le marin de ce temps-là courrait, de nos jours, le risque d’être traité en flibustier. On ne saurait guère mettre en doute, par exemple, que les hommes de l’équipage dont nous parlons, sans être de fâcheux spécimens de la corporation nautique, s’étaient pourtant rendus coupables, comme nous dirions, de pirateries qui, devant un tribunal moderne, les auraient mis en grand danger d’être pendus.
Mais la mer, en ce bon vieux temps, grondait, se soulevait, écumait tout à fait à sa fantaisie ou uniquement à celle du vent des tempêtes, sans que la loi humaine eût essayé de lui imposer des règles. Le forban pouvait renoncer à son métier et, s’il lui plaisait, devenir, sitôt sur la terre ferme, un homme honnête et pieux. Et même lorsqu’il menait en plein sa vie de bandit sur les vagues, il n’était pas regardé comme un individu avec lequel il était peu honorable de traiter des affaires ou d’avoir des rapports en passant. C’est ainsi que les vieux Puritains en manteaux noirs, rabats empesés et chapeaux à hautes calottes en forme de pain de sucre, souriaient sans malveillance aux façons grossières de ces bruyants matelots. Et, il n’y eut aucun mouvement de réprobation ni de surprise lorsqu’on vit un citoyen de réputation aussi assise que le vieux docteur Chillingworth arriver sur la Place du Marché en conversant familièrement avec le capitaine du suspect navire espagnol.
Ce capitaine était le personnage le plus martial d’allures et le plus galamment ajusté de toute la foule. Il portait une profusion de rubans sur son habit, de la dentelle d’or à son chapeau qu’encerclait aussi une chaîne d’or et que surmontait une plume. Il y avait une épée à son côté et, sur son front, une balafre que, d’après sa façon d’arranger ses cheveux, il semblait plus désireux de laisser voir que de cacher. Un terrien n’aurait pu se montrer en cet appareil et faire si gaillarde figure sans subir un interrogatoire sévère devant un magistrat et risquer une amende, la prison, voire une heure ou deux de pilori. Dans le cas de ce patron de navire, on considérait ces façons et cet attirail comme allant tout autant de soi que des écailles luisantes sur le dos d’un poisson.
Après s’être séparé du médecin, le capitaine flâna sur la Place du Marché jusqu’au moment où, se trouvant approcher de l’endroit où se tenait Hester Prynne, il parut la reconnaître et n’hésita point à aller lui parler.
Comme c’était d’habitude le cas, lorsque Hester se trouvait en public, un petit espace vide – une façon de cercle magique – s’était formé autour d’elle. Nul ne songeait à s’y aventurer et pourtant la foule se coudoyait tout autour. C’était l’image typique de la solitude morale à laquelle était condamnée la porteuse de la lettre écarlate.
En l’occurrence cet état de choses eut, en tout cas, un heureux effet car il permit à Hester et au marin de s’entretenir sans courir le risque d’être entendus. Et la matrone la plus renommée en ville par l’intransigeance de sa vertu n’aurait pas soulevé moins de scandale, en se prêtant à cet entretien, que n’en souleva Hester Prynne, tant sa réputation avait changé aux yeux du public.
– Or çà, Dame, dit le capitaine, il me va donc falloir faire apprêter un hamac de plus que vous ne m’en demandâtes ? Ni scorbut, ni fièvre à redouter cette traversée-ci ! Avec le médecin du bord et cet autre, notre seul danger viendra de poudres et pilules ! D’autant que j’ai bon fret de
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