La Liste De Schindler
Mandel. »
Mandel secoua la tête et partit. Il supposait à tort que Bankier s’était déjà approprié une partie de cet argent. En fait, Bankier se montrait prudent. L’argent fut finalement remis aux sionistes de Plaszow comme en témoignera le reçu signé d’Alta Rubner que Sedlacek remettra à Springmann. Une partie de cette somme fut utilisée pour porter secours aux juifs venus de tous les coins de Pologne et qui ne pouvaient pas compter sur des amis de Cracovie pour leur venir en aide.
Oskar ne sut jamais l’ultime destination des sommes ainsi remises. Servaient-elles principalement à acheter de la nourriture au marché noir, comme le souhaitait Stern ? Etaient-elles utilisées par la Résistance intérieure pour fabriquer de faux papiers et acheter des armes ? Quoi qu’il en soit, pas un centime de cet argent ne servit à faire sortir Frau Schindler de la prison de Montelupich ou à sauver des vies, comme celle des frères Danziger. Pas un centime ne fut retenu par Oskar en compensation des quelque trente mille kilogrammes en cocottes et casseroles dont il fit cadeau en 1943 aux officiers SS comme aux sous-fifres pour qu’ils s’abstiennent de recommander en haut lieu la fermeture de son camp annexe.
Quand Oskar sortit seize mille zlotys pour l’achat au marché noir d’instruments de gynécologie afin que l’accouchement d’une fille d’Emalia se déroule d’une façon à peu près normale – toute femme enceinte étant immédiatement expédiée à Auschwitz –, ce fut de sa poche. Quand l’Untersturmführer John voulut vendre sa vieille Mercedes complètement hors course, Oskar l’acheta sur ses propres deniers à condition que trente prisonniers de Plaszow fussent transférés à Emalia. La voiture, achetée douze mille zlotys, fut réquisitionnée le lendemain par l’Untersturmführer Scheidt, officier SS ami de John, qui en avait besoin pour ses équipes chargées de déblayer le terrain autour de l’enceinte du camp.
— Sans doute vont-ils transporter la terre dans le coffre, fulminait Oskar au cours du dîner qu’il eut le soir même avec Ingrid.
Commentant l’incident, il devait dire plus tard qu’il avait été ravi d’avoir pu rendre service à ces deux messieurs.
CHAPITRE 26
Raimund Titsch payait lui aussi, mais d’une autre manière. Titsch était un petit catholique autrichien toujours très strict qui boitillait légèrement, ce que d’aucuns attribuaient à un accident dans son enfance, d’autres à une blessure de la Première Guerre mondiale. Il avait dix bonnes années de plus qu’Amon ou Oskar. Il dirigeait à l’intérieur du camp de Plaszow la fabrique d’uniformes de Madritsch qui employait quelque trois mille couturières et préposés à l’entretien des machines.
Raimund Titsch payait d’abord de sa personne en jouant aux échecs avec Amon Goeth. Amon, dont les bureaux étaient reliés directement à l’usine de Madritsch, appelait régulièrement Titsch pour une petite partie. La première faillit se terminer en drame. A peine une demi-heure après le début de la partie, Titsch annonça aussi timidement que possible « échec et mat ». Le commandant poussa un grognement de rage, s’empara de sa veste et de sa casquette et se mit à boutonner fébrilement son ceinturon garni de l’étui à pistolet. Titsch crut un moment qu’Amon allait se venger de sa défaite sur le dos d’un malheureux prisonnier occupé à pousser les wagonnets. Il en tira les conclusions qui s’imposaient. Désormais il s’arrangeait pour qu’au bout de trois heures de jeu le Hauptsturmführer pût annoncer triomphalement « échec et mat ». Quand les prisonniers employés dans les bureaux de l’administration voyaient Titsch remonter la rue Jerozolimska en boitillant pour aller se mesurer à Goeth, ils savaient qu’ils pouvaient compter sur un après-midi tranquille. Cette atmosphère de sécurité, si modeste fût-elle, s’étendait jusqu’aux ateliers et même au long de la petite voie ferrée.
Raimund Titsch ne se contentait pas de faire de la thérapie par échecs interposés. Indépendamment du Dr Sedlacek et de son ami muni d’un appareil de poche, il avait commencé à prendre des photographies. Tapi derrière la fenêtre de son bureau ou dans un coin des ateliers, il fixait sur sa pellicule les prisonniers en pyjamas rayés poussant les wagonnets, la cérémonie de la soupe ou encore les travaux de terrassement. Certains de ces
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