La Liste De Schindler

il irait lui-même avec le Dr Sopp à Montelupich pour assister à la levée d’écrou. Et il remettrait lui-même la femme aux mains d’amis qu’il avait en ville. Sopp ne fit aucune objection. Et c’est à la lueur d’une faible ampoule toute nue dans une cellule glacée de Montelupich que Frau Schindler reçut son cher, très cher certificat.
    Un homme un peu plus calculateur ou simplement doué d’un esprit comptable aurait pu se faire rembourser cette somme sur les fonds mis à sa disposition par Sedlacek. Oskar finirait par recevoir en tout cent cinquante mille Reichsmark en provenance de Budapest, dissimulés dans des valises à double fond ou à l’intérieur d’une couture. Mais on sait qu’Oskar n’avait pas le sens de l’argent, aussi bien celui qu’il devait, d’ailleurs, que celui qu’on lui devait. Et surtout il avait un sens de l’honneur qui lui interdisait de prélever quoi que ce soit sur les sommes destinées à ses contacts juifs. A l’exception toutefois de ce qu’il dut dépenser pour le cognac d’Amon.
    L’écoulement de ces fonds secrets était d’ailleurs parfois une affaire délicate. Quand Sedlacek arriva a Cracovie avec cinquante mille Reichsmark au cours de l’été 1943, les sionistes de Plaszow à qui Oskar offrit cette somme craignirent la provocation.
    Oskar prit d’abord contact avec Henry Mandel, soudeur dans l’atelier de métallurgie de Plaszow, qui était membre du Hitach Dut, un mouvement sioniste de jeunes travailleurs. Mandel ne voulait pas toucher à l’argent. Schindler avait beau lui répéter :
    —  Regardez, j’ai une lettre d’explication en hébreu, une lettre en provenance de Palestine.
    Mais naturellement, si c’était un coup monté, Oskar aurait une lettre de Palestine. Et quand vous n’avez qu’une mince tartine de pain pour tout petit déjeuner, vous y réfléchissez à deux fois avant d’empocher une somme aussi considérable que cinquante mille Reichsmark, soit cent mille zlotys. A utiliser comme bon vous semble. Non, ce n’était tout simplement pas possible.
    Schindler essaya ensuite de remettre cette somme qu’il fit passer à Plaszow dans le coffre de sa voiture à un autre membre du Hitach Dut, une femme nommée Alta Rubner. Elle avait des contacts avec le mouvement de résistance de Sosnowiec par l’intermédiaire de prisonniers qui travaillaient à l’usine de câbles et par quelques Polonais de la prison polonaise. Elle dit à Mandel qu’il serait peut-être préférable d’en référer à la Résistance, et de les laisser décider de savoir si cet argent sentait le soufre.
    Oskar tenta de la persuader, élevant la voix que couvrait le claquement saccadé des machines à coudre.
    —  Je vous jure que ce n’est pas un piège, insistait-il. Je puis vous assurer de mon entière bonne foi.
    La bonne foi… Exactement ce qu’on pourrait attendre d’un agent provocateur.
    Quand Oskar fut parti, que Mandel eut parlé de l’affaire à Stern qui confirma le dire d’Oskar, quand il se fut entretenu à nouveau avec la fille, décision fut prise d’accepter l’argent. Ils savaient pourtant qu’Oskar, désormais échaudé, ne reviendrait pas le leur proposer. Mandel se rendit au bureau de l’administration pour voir Marcel Goldberg, un ancien membre du Hitach Dut, qui, après avoir été nommé secrétaire en charge des listes – listes de travail, de personnes déplacées, de morts, de vivants, etc. –, s’était mis à accepter des pots-de-vin. Mandel savait cependant comment le prendre. Une des listes que Goldberg pouvait établir – ou, à tout le moins, sur laquelle il pouvait ajouter ou retrancher des noms – était celle des gens qui devaient se rendre à Emalia récupérer les chutes de métal pour les ateliers de Plaszow. Eu égard au bon vieux temps, Mandel se retrouva sur cette liste sans avoir eu toutefois à révéler la raison qui le poussait à se rendre à Emalia.
    Mais une fois arrivé à Zablocie, après avoir séché la corvée de récupération des chutes et s’être rendu au bureau d’Oskar, il fut bloqué par Bankier. Herr Schindler était trop occupé pour le voir.
    Une semaine plus tard, Mandel était de retour. Bankier, à nouveau, lui barra l’entrée. La troisième fois, Bankier fut plus explicite : « Vous voulez cet argent sioniste ? Mais vous n’en vouliez pas avant. Et maintenant, vous le voulez. Eh bien, vous ne pouvez plus l’avoir. C’est la vie, monsieur