La Liste De Schindler
prison à vie si les SS n’avaient pas décidé qu’il existait des criminels encore plus dangereux que les parricides et qu’Erik serait le type d’homme à les mater. Stern avait mentionné dans son rapport qu’un médecin de Cracovie, le Dr Edward Goldblatt, avait été muté de son hôpital à Plaszow par les soins d’un SS, le Dr Blancke. Erik n’était jamais aussi ravi que quand il voyait arriver à la carrière des hommes de savoir et de talent peu habitués aux travaux manuels. Les brutalités commencèrent sitôt qu’Erik remarqua les premiers gestes maladroits du médecin. Jour après jour, SS et Ukrainiens de garde se relayèrent pour le brutaliser. Goldblatt devait continuer à travailler avec la tête enflée comme un ballon et une paupière complètement fermée. Personne ne sut quelle nouvelle faute dans le maniement du marteau ou de la pique valut au médecin sa dernière raclée. Longtemps après qu’il eut perdu connaissance, Erik autorisa qu’on le conduisît à la Krankenstube où le médecin de service refusa de l’admettre. Forts de ce diagnostic, Erik et quelques hommes de troupe SS continuèrent à le frapper devant la porte de l’hôpital jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Stern poursuivit sa petite séance de lacets devant la carrière parce qu’il croyait, comme Oskar et quelques autres, que des juges de futurs tribunaux viendraient demander aux témoins : « Dites-nous en un mot : où cela s’est-il passé ? »
Oskar put faire faire à ses amis une visite approfondie du camp. Il les emmena à Chujowa Gorka et au petit fort autrichien où les brouettes maculées de sang qui servaient à transporter les cadavres étaient alignées sans vergogne à l’entrée du fort. Déjà plusieurs milliers de cadavres avaient été enterrés là, dans des fosses communes ou à la lisière de la forêt de pins située à l’est. Quand les armées russes arriveraient de l’est, elles découvriraient d’abord ce lieu de massacres avant de libérer les quelques victimes à demi mortes de faim qui seraient encore à Plaszow.
Quant aux prétendues industries miracles de Plaszow, elles ne pouvaient que décevoir tout observateur un peu qualifié. Amon, Bosch, Léo John ou Joseph Neuschel pensaient tous qu’ils dirigeaient une cité modèle dans la mesure où ils en tiraient de solides profits. Ils auraient sans doute été profondément choqués d’apprendre que s’ils pouvaient continuer à se la couler douce, ce n’était pas du tout en vertu du miracle économique qu’ils pensaient avoir accompli.
En fait les fortunes personnelles amassées par Amon et sa clique constituèrent le seul miracle économique un peu tangible jamais réalisé là-bas. C’était toujours un sujet d’étonnement pour les observateurs avertis de voir que Plaszow bénéficiait encore de contrats pour l’industrie de guerre alors que les ateliers étaient si misérables et les machines si démodées. Mais les prisonniers les mieux informés faisaient pression sur des gens de l’extérieur dont ils avaient mesuré la sympathie, des gens comme Oskar ou Madritsch, pour qu’ils convainquent l’Inspection des armements de l’utilité de Plaszow. Car après tout, la faim et les assassinats sporadiques valaient encore mieux que la mort certaine à Auschwitz ou Belzec. Oskar pouvait passer des heures à discuter avec les officiers des services d’achat et les ingénieurs du général Schindler qui dirigeait l’Inspection des armements. Bien sûr, ils faisaient la grimace. Bien sûr, ils s’esclaffaient de temps à autre : « Allons, Oskar, êtes-vous vraiment sérieux ? » Mais en fin de compte, Goeth aurait ses contrats, qu’il s’agisse de pelles fabriquées avec les résidus de tôle collectés dans l’usine d’Oskar, rue Lipowa, ou encore d’entonnoirs emboutis à partir des déchets d’étain recueillis dans une conserverie de Podgorze. Les chances étaient assez minces que les commandes de pelles munies de leurs manches destinées à la Wehrmacht fussent correctement honorées. De nombreux amis d’Oskar à l’Inspection des armements savaient de quoi il retournait : prolonger la vie de Plaszow, c’était prolonger la vie d’un certain nombre d’esclaves. Pour certains d’entre eux, c’était dur à avaler. Ils connaissaient la réputation d’escroc de Goeth. Et la vie de patachon que menait Amon dans son petit coin de campagne choquait profondément leur sens du devoir.
Le
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