La Liste De Schindler
voyageur intercontinental qu’il avait imaginée pendant quelques instants quand il avait dépassé Winkler sur le circuit d’Altvater, mais c’était mieux que rien.
Sa mère mourut peu de temps après. Au cours de l’enterrement, Oskar se tint résolument aux côtés de ses tantes, de sa sœur Elfriede et d’Emilie. Hans, le papa félon, était seul de son côté. Oskar ignorait encore ce que tout le reste de la famille avait déjà compris : lui et son père étaient du même tonneau.
Oskar, pour la cérémonie des funérailles, avait accroché à son revers l’insigne du parti allemand des Sudètes de Konrad Henlein. Ça ne plaisait guère à Emilie. Pas plus qu’aux tantes, d’ailleurs. Mais qu’y faire? A l’exception des sociaux-démocrates et des communistes, tous les jeunes Allemands des Sudètes arboraient cet insigne. Et Dieu sait qu’Oskar n’était ni social-démocrate ni communiste ! C’était avant tout un vendeur. Or, à l’époque, quand on se présentait auprès d’un acheteur allemand avec l’insigne à la boutonnière, on enlevait généralement le marché.
Les commandes, c’était le souci majeur d’Oskar. Mais en cette année 1938, avant même que les divisions allemandes déferlent sur les Sudètes, Oskar pressentait que le monde était arrivé à un tournant de l’Histoire. Assurément, comme tous les jeunes Allemands, il avait envie d’être partie prenante des événements à venir.
L’invasion des Sudètes par les troupes allemandes lui fit très vite perdre ses illusions. Il espérait que le pouvoir national-socialiste s’accommoderait d’une nouvelle république sœur des Sudètes. Il racontera plus tard à quel point la façon dont les nazis se comportaient avec la population tchèque l’avait épouvanté. La barbarie des nouvelles autorités mises en place, dès la constitution du protectorat de Bohême et de Moravie proclamée par Hitler en mars 1939, allait l’amener très vite à prendre ses distances avec l’ordre nouveau.
De plus, les deux personnes dont il respectait l’opinion, sa femme Emilie et son père – en dépit des divergences qui les opposaient –, n’éprouvaient aucune sympathie pour le grand mouvement d’hystérie teutonique. Elles proclamaient toutes deux que Hitler ne parviendrait jamais à ses fins. Emilie, pour sa part, pensait qu’un homme qui se prenait pour Dieu ne manquerait pas de subir le châtiment divin. Quant à papa Schindler, dont Oskar avait des nouvelles par le relais des tantes, il étayait ses thèses des précédents historiques. Austerlitz, la très célèbre bataille, avait été remportée par Napoléon à quelques kilomètres de là près de Brno. Et qu’était-il advenu de l’empereur triomphant ? Il avait fini ses jours à planter des patates sur une île perdue au milieu de l’Atlantique. Hitler ne s’en tirerait pas mieux. Le destin, philosophait papa Schindler, n’était pas un fil qu’on pouvait dérouler indéfiniment. C’était plutôt comme un boomerang qu’on lançait de plus en plus loin jusqu’au jour où il vous revenait en plein sur la tronche. Il est vrai qu’un mariage raté et une faillite économique avaient appris les choses de la vie à Herr Hans Schindler.
Son fils, pour sa part, n’avait pas encore tiré de conclusions aussi abruptes. Un soir d’automne où Oskar participait à une soirée dans un centre hospitalier proche d’Ostrava, aux confins de la frontière polonaise, la directrice du centre qu’il avait rencontrée au hasard de ses tournées le présenta à Eberhard Gebauer, un Allemand qui paraissait dans le vent. La conversation s’engagea sur les affaires puis prit très vite un tour politique. Qu’allaient faire la France, la Grande-Bretagne et la Russie? Les deux hommes prirent une bouteille pour aller s’installer dans une pièce adjacente où ils pourraient parler plus librement. Gebauer faisait partie des services d’espionnage de l’amiral Canaris. Oskar accepterait-il de travailler pour lui ? Son métier lui permettait de circuler librement de l’autre côté de la frontière en Pologne, en Galicie et en haute Silésie. On pouvait glaner là quelques renseignements… L’hôtesse avait prévenu Gebauer qu’Oskar était intelligent et de bonne compagnie. De tels dons lui permettraient sans doute de repérer les déplacements de troupes et de situer les zones industrielles importantes de la région. Sans compter qu’il pourrait peut-être se
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