La Liste De Schindler
retombée, Oskar présenta sa lettre au rabbin qui, pleurant à moitié, la traduisit aux autres Américains. Il y eut des applaudissements, de nouvelles embrassades, d’autres poignées de main. Les G.I.’s avaient l’air si jeunes, si confiants, si enthousiastes, et tellement marqués par l’Amérique, alors que leurs pères ou leurs grands-pères étaient peut-être originaires de cette vieille Europe, que le petit groupe Schindler les contemplait avec stupéfaction.
Oskar, Emilie et les autres furent, pendant deux jours, les hôtes du général commandant le régiment et du rabbin. Tout le monde fut aux petits soins pour eux.
Le rabbin leur remit ensuite une ambulance fraîchement interceptée dans laquelle le groupe put se rendre dans la ville en ruine de Linz, au nord de l’Autriche.
Au deuxième jour de la paix, les Russes n’étaient toujours pas arrivés à Brinnlitz. Les prisonniers n’étaient pas particulièrement ravis de devoir rester sur place plus longtemps que prévu. Ils avaient accroché des pancartes « Achtung Typhus » au périmètre du camp, espérant ainsi dissuader les SS de s’approcher.
Trois partisans tchèques arrivèrent dans le courant de l’après-midi et interpellèrent les prisonniers postés en sentinelle.
— Tout est fini maintenant, dirent-ils. Vous pouvez partir quand vous voulez.
— On partira quand les Russes arriveront, répondit un des hommes qui faisaient partie des commandos. Jusque-là, on garde tout le monde ici.
Sa réponse reflétait la mentalité du prisonnier qui, après une longue période de détention, craint de retrouver brusquement sa liberté et qui préférerait une réinsertion par paliers. Mais elle était aussi une preuve de sagesse. Personne n’était assuré que les dernières unités allemandes aient bien disparu de la région.
Les Tchèques haussèrent les épaules et disparurent.
Cette nuit-là, Poldek Pfefferberg, qui était de garde à l’entrée principale, entendit un bruit de moteur sur la route. Cinq motos arborant les têtes de mort des SS s’arrêtèrent devant le portail. Les SS – tous jeunes, se souvient Pfefferberg – coupèrent les moteurs, descendirent de leurs véhicules et firent mine d’entrer tandis que les commandos discutaient de savoir s’ils allaient immédiatement ouvrir le feu.
Le sous-officier en charge du groupe semblait comprendre les risques de la situation. Il se tenait un peu en retrait du portail, les bras tendus comme pour montrer qu’il n’avait pas d’armes. Il avait besoin d’essence, dit-il, et il supposait qu’il pouvait en trouver dans un ancien camp de travail.
Pfefferberg persuada ses compagnons qu’il serait préférable de leur fournir l’essence et de les laisser filer ensuite sans créer d’incident. Qui sait si d’autres groupes SS rôdant dans les environs ne s’aviseraient pas de venir en entendant la fusillade ?
Les prisonniers ouvrirent le portail et allèrent chercher des bidons. Le sous-officier avait adopté vis-à-vis du chef des commandos – qui avait enfilé une salopette bleue pour avoir l’air un peu moins d’un détenu et un peu plus d’un militaire – une attitude presque de complicité, comme s’il trouvait tout à fait normal que des prisonniers en armes défendent leur propre prison.
— Vous savez que nous avons le typhus ici, dit Pfefferberg, en indiquant les pancartes.
Les SS se regardèrent les uns les autres.
— Nous avons déjà perdu une vingtaine de gens, poursuivit Pfefferberg. Nous en avons à peu près cinquante autres en quarantaine dans une des caves.
Les SS étaient fatigués. Ils étaient en fuite. Ils n’allaient pas, en plus, s’attirer des dangers bactériens.
Quand arrivèrent les bidons d’essence, ils exprimèrent leurs remerciements, s’inclinèrent et sortirent. Ils remplirent leurs réservoirs, alignèrent soigneusement contre la grille les quelques bidons qui ne pouvaient pas tenir dans les side-cars, enfilèrent leurs gants et partirent sans faire pétarader les moteurs, soit par discrétion, soit par souci d’économiser l’essence. Cette rencontre somme toute bien polie avec des hommes portant l’uniforme des légions nauséabondes de Heinrich Himmler sera, pour les prisonniers, la dernière.
Le camp fut libéré au cours du troisième jour par un seul officier russe qu’on vit arriver à cheval sur la route menant au portail. Au fur et à mesure qu’il approchait, les hommes s’aperçurent
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