La Liste De Schindler
Motzek, il se trouva nez à nez avec Poldek Pfefferberg et Jusek Horn, un autre prisonnier. Sous la menace des mitraillettes, Motzek supplia qu’on lui laisse la vie sauve comme l’aurait fait n’importe quel individu âgé de plus de quarante ans qui n’avait plus qu’un désir : rentrer chez lui. Pfefferberg s’empara du revolver du commandant qui, après quelques heures de détention, fut relâché et prit le chemin de sa maison.
Les miradors, qui avaient fait l’objet d’un plan d’attaque en règle, avaient été évacués. Les prisonniers prirent la précaution d’installer quelques-uns de leurs hommes en haut pour indiquer à quiconque passerait par là que tout était en ordre.
Aux alentours de minuit, tous les SS, hommes ou femmes, avaient disparu. Oskar fit appeler Bankier dans son bureau pour lui remettre la clé d’un entrepôt spécial qui abritait dix-huit camions remplis de manteaux, d’uniformes, de tissu, de lainages, de chaussures et de cinq cent mille bobines de fil. Toutes ces marchandises provenaient d’un stock qu’utilisait la marine pour ses patrouilles fluviales dans la région de Katowice. Oskar avait réussi, « grâce à quelques cadeaux », à les faire entreposer chez lui au moment de l’offensive russe en Silésie. D’après Stern, Oskar avait eu l’intention de remettre ce stock aux prisonniers à la fin de la guerre pour qu’ils disposent d’une monnaie d’échange. Oskar le confirmera : « Je voulais que mes travailleurs juifs aient quelques moyens de subsister. » Certains d’entre eux qui étaient du métier ont évalué la valeur de ce stock à plus de cent cinquante mille dollars.
Ces experts, Juda Dresner par exemple, qui avait dirigé sa propre filature dans la rue Stradom, ou Itzhak Stern qui travaillait dans les textiles, étaient tout à fait à même de pouvoir évaluer la valeur du lot.
Pour leur départ, Oskar et Emilie avaient revêtu des tenues de prisonniers. Quand ils arrivèrent dans la cour de l’usine pour faire leurs adieux, tout le monde pensa que ces tenues ne tromperaient personne quand ils tomberaient entre les mains des troupes alliées. Mais personne ne se permit de rire. Après tout, cette tenue correspondait à ce qu’Oskar avait été au cours de ces dernières années : prisonnier, lui aussi. A Brinnlitz comme à Emalia.
Huit prisonniers dont un couple, Richard et Anka Rechen, s’étaient portés volontaires pour accompagner Oskar et Emilie. Le plus âgé d’entre eux, Edek Reubinski, un ingénieur, n’avait que vingt-sept ans. C’est lui qui, plus tard, racontera les péripéties du voyage.
Emilie et Oskar, conduits par un chauffeur, prendraient la Mercedes. Les autres suivraient dans un camion chargé de nourriture, d’alcool et de cigarettes pour le troc. Oskar était anxieux de démarrer. Une partie du danger russe représenté par les traînards de Vlasov s’était estompée. Mais l’autre aspect se précisait : « les autres » seraient là au plus tard demain. Assis à l’arrière de la Mercedes dans leurs tenues de prisonniers, les Schindler avaient l’air de deux bourgeois se rendant à un bal costumé. Oskar n’en continuait pas moins de donner quelques ultimes instructions à Stern, quelques derniers ordres à Bankier et à Salpeter. Mais on voyait qu’il avait hâte de quitter les lieux. Quand le chauffeur, Dolek Grünhaut, tira sur le démarreur, rien ne se produisit. Oskar alla vérifier ce qui se passait sous le capot. Ce n’était plus le même homme qui avait prononcé quelques heures auparavant une allocution seigneuriale.
— Que se passe-t-il? Que se passe-t-il? répétait-il nerveusement.
Grünhaut avait du mal à trouver la panne dans l’obscurité. D’autant que ce n’était pas du tout ce à quoi il avait pensé. Un des prisonniers, pris de panique à l’idée du départ d’Oskar, avait coupé les fils du contact.
Pfefferberg partit au trot vers l’atelier de soudure, et revint avec ses outils. Il eut du mal à faire la réparation. Ses mains ne répondaient pas. Il est vrai qu’Oskar, l’œil fixé sur le portail où l’on s’attendait à voir pénétrer les Russes d’un instant à l’autre, ne faisait rien pour décontracter l’atmosphère. Enfin, le moteur se mit à ronfler, et la Mercedes démarra, suivie du camion.
Il y avait trop de nervosité dans l’air pour qu’on s’attarde à faire des adieux en règle, mais une lettre, signée par Hilfstein, Stern
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