La Liste De Schindler
l’infirmière ? Etait-ce un malade ? « Cette femme est vraiment l’héroïne du jour », pensait-il.
Quand il se retourna à nouveau, il vit l’infirmière en train de réveiller le musicien pour lui donner le verre. Le Dr B… qui avait enfilé une nouvelle blouse blanche regardait la scène à l’autre bout de la salle. Le Dr H… vint au chevet de Roman pour lui prendre son pouls. Il ne battait plus. Un peu plus loin le musicien s’efforçait d’ingurgiter cette curieuse mixture au goût d’amande.
Tout alla aussi simplement que H… l’avait espéré. Il les regarda – la bouche entrouverte mais pas de façon obscène, les yeux vitreux et désormais immunisés, les têtes en arrière et les mentons dressés vers le ciel – avec ce sentiment d’envie que tous les habitants du ghetto devaient ressentir pour ceux qui avaient réussi à s’échapper.
CHAPITRE 21
Poldek Pfefferberg partageait une chambre au dernier étage d’une maison du XIXe siècle située au bout de la rue Jozefinska. Sa fenêtre plongeait sur la Vistule où des péniches polonaises, ignorant tout du dernier jour du ghetto, descendaient ou remontaient le courant tandis que les vedettes SS patrouillaient comme à l’habitude. Pfefferberg attendait avec sa femme, Mila, que le Sonderkommando pénètre dans la maison et lui ordonne de sortir dans la rue. Mila, une petite femme de vingt-deux ans, nerveuse, qui avait quitté Lodz pour se réfugier à Cracovie, avait épousé Poldek au cours des premiers jours qui suivirent la création du ghetto. Elle était née dans une famille où l’on était médecin de père en fils. Son père, chirurgien, était mort relativement jeune, en 1937. Sa mère, dermatologue, avait subi le même sort que Rosa Blau. Les SS l’avaient abattue, alors qu’elle se tenait au milieu de ses malades, au cours d’une Aktion lancée contre le ghetto de Tarnow l’année précédente.
Bien que la ville de Lodz ne fût pas particulièrement hospitalière pour les juifs, Mila avait eu une enfance heureuse. Elle avait commencé ses propres études médicales à Vienne l’année précédant la déclaration de guerre. Quand les habitants de Lodz furent évacués sur Cracovie en 1939, Mila se retrouva logée dans le même appartement que ce gai luron de Poldek Pfefferberg.
Maintenant il se trouvait être, comme Mila, le dernier membre de sa famille. Sa mère qui avait refait la décoration de l’appartement de Schindler de la Straszewskiego, avait été envoyée avec son père dans le ghetto de Tarnow. On saura plus tard qu’ils furent ensuite expédiés à Belzec et assassinés. Sa sœur et son beau-frère qui s’étaient procuré des papiers attestant leur origine aryenne avaient disparu dans la prison Pawiak de Varsovie. Désormais, ils n’étaient plus que tous les deux. Rarement deux êtres furent aussi dissemblables : Poldek était un chef-né, un organisateur, le type de garçon qui savait prendre ses responsabilités. Mila, peut-être à cause du destin qui avait frappé toute sa famille, était une femme très réservée. Ce mélange aurait sans doute donné d’excellents résultats en des jours meilleurs. Car Mila n’était pas seulement intelligente, c’était aussi une sage qui savait manier l’ironie nécessaire pour juguler parfois les torrents oratoires de son mari. Ce jour-là, ils n’étaient pas d’accord.
Encore que Mila ne fût pas contre l’idée de s’enfuir du ghetto si l’occasion se présentait pour rejoindre avec Poldek les partisans dans la forêt, elle ne voulait pas entendre parler des égouts. Poldek les avait empruntés plus d’une fois pour se rendre en ville, bien que la police en surveillât parfois les sorties. Son ami et ancien maître de conférences, le Dr H…, avait lui-même mentionné récemment les égouts comme voie d’évasion le jour où le Sonderkommando arriverait. Le tout serait d’attendre le crépuscule qui venait assez tôt en hiver. La porte de la maison du médecin n’était qu’à quelques mètres d’une bouche d’égout.
Une fois à l’intérieur, il suffisait de prendre le tunnel de gauche qui vous promenait sous les rues de Podgorze jusqu’au débouché dans la Vistule proche du canal de la rue Zatorska. Le Dr H… les avait avertis la veille : lui et sa femme tenteraient la fuite par les égouts et les Pfefferberg seraient les bienvenus s’ils décidaient de se joindre à eux. Poldek n’avait pas voulu alors prendre
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