La Liste De Schindler
petit soldat polonais d’opérette !
Pfefferberg ne se le fit pas dire deux fois. Il partit d’un bon pas, sans se retourner, s’attendant que les chiens lui sautent dessus. Il arriva en courant au coin de la rue Wegierska et s’y engouffra, passant devant la cour de l’hôpital où quelques heures auparavant il avait vu les cadavres entassés. Les rues familières du ghetto s’estompaient dans la nuit tombante tandis qu’il s’approchait du portail. Un dernier petit groupe de prisonniers vaguement entouré de SS et d’Ukrainiens se tenait encore sur la place Podgorze.
— Je dois être le dernier survivant, leur dit-il.
Si ce n’était pas lui, ça pouvaient être Wulkan le joaillier ainsi que sa femme et son fils. Wulkan avait travaillé au cours des deux derniers mois à l’usine du Progrès, et, sachant ce qui se préparait, il avait fait une manœuvre d’approche en direction du fiduciaire Unkelbach avec un diamant de belle taille qu’il avait caché pendant deux ans dans la doublure de son pardessus. «Herr Unkelbach, avait-il dit au gérant, j’irai où l’on m’enverra, mais ma femme ne pourra jamais supporter tout ce tapage et cette violence. » Il exposa son plan : lui, sa femme et son fils se réfugieraient au commissariat de police des OD, sous la protection d’un policier juif de leur connaissance, et peut-être, dans le courant de la journée, Herr Unkelbach aurait-il la bonté de venir les prendre et de les conduire à Plaszow, leur permettant ainsi d’échapper au pire.
Depuis les premières heures de la matinée, ils étaient assis tous les trois dans un petit réduit du commissariat de police. L’attente avait été presque aussi éprouvante que s’ils étaient restés dans leur cuisine ; le gamin passait par des phases de terreur et d’ennui, et son épouse n’arrêtait pas de récriminer. « Où est-il ? Viendra-t-il seulement ? Ah ! ces gens, ces gens ! » Unkelbach apparut en fait au début de l’après-midi. Il était venu dans l’Ordnungsdienst pour aller aux toilettes et prendre une tasse de café. Emergeant du réduit dans lequel il avait attendu si longtemps, Wulkan vit un fiduciaire Unkelbach qui lui parut méconnaissable; un homme en uniforme de sous-officier SS fumant et bavardant avec un autre SS, buvant d’une main sa tasse de café avant de la reposer pour tirer sur sa cigarette ou engloutir un morceau de pain bis, tandis que l’autre main, la gauche, tenait encore son pistolet posé sur le comptoir du commissariat. Des taches de sang marronnasses maculaient son uniforme. Son regard croisa celui de Wulkan sans toutefois paraître le voir. Wulkan sut tout de suite qu’Unkelbach ne tentait pas de se dérober mais simplement qu’il ne se rappelait plus le marché conclu. L’homme, manifestement, était ivre, mais pas de boisson. Si Wulkan lui avait adressé la parole, la réponse aurait été sans doute un regard ébahi. Suivi, très probablement, par quelque chose de pire.
Wulkan renonça et retourna voir sa femme.
— Pourquoi n’y vas-tu pas ? Essaie. Je lui parlerai, moi, s’il est toujours là, ne cessait-elle de répéter.
Voyant le regard vide de Wulkan, elle jeta un œil par l’entrebâillement de la porte. Unkelbach s’apprêtait à partir. Elle vit l’uniforme maculé de sang. Elle poussa un gémissement et retourna s’asseoir.
Elle sombra dans le même désespoir que son mari, ce qui, d’une certaine manière, rendit l’attente plus facile. L’OD qu’ils connaissaient prit sur lui de leur remonter le moral. Il leur dit que mis à part les lascars de Spira, tous les OD devaient quitter le ghetto à 18 heures pour se rendre à Plaszow en empruntant la route de Wieliczka. Il essaierait de s’arranger pour mettre les Wulkan dans un des véhicules.
Il faisait presque nuit maintenant. Après le passage de Pfefferberg rue Wegierska, après que les derniers groupes de prisonniers se furent rassemblés près du portail dans le square Podgorze, tandis que le Dr H… et sa femme mêlés à un groupe de Polonais ivres et braillards se dirigeaient vers l’est, et tandis que les escouades du Sonderkommando faisaient la pause en fumant une cigarette avant de terminer la fouille des appartements, deux chariots tirés par des chevaux firent halte devant le commissariat. Les OD cachèrent la famille Wulkan sous des piles de cartons et de vêtements. Symche Spira et ses sbires étaient hors de vue. Probablement en train de ratisser
Weitere Kostenlose Bücher