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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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déclaration fit sourciller
Philippe. Le mot de régent n’avait pas été prononcé. Valois ne visait-il pas,
au-delà de la régence, la couronne elle-même ?
    — Notre cousin Saint-Pol est
avec nous, reprit Charles de La Marche, pour vous dire que c’est aussi le
conseil des barons.
    Philippe se passa la main,
lentement, sur la joue.
    — Je vous sais gré, mon frère,
de votre avis, répondit-il froidement, et d’avoir fait tant de route pour me le
porter. Aussi je pense que vous êtes las comme je le suis moi-même, et les
bonnes décisions ne se prennent point dans la lassitude. Je propose donc que
nous allions dormir pour en décider demain, l’esprit frais et en petit Conseil.
La bonne nuit, Messeigneurs… Raoul, Anseau, Adam, m’accompagnez, je vous prie.
    Et il sortit de la salle, sans avoir
offert le vivre à ses visiteurs, et sans même se soucier de la manière dont ils
allaient s’accommoder pour dormir.
    Suivi d’Adam Héron, de Raoul de Presles
et d’Anseau de Joinville, il se dirigea vers la chambre royale. Le lit, jamais
plus utilisé depuis que le Roi de fer y avait rendu l’âme, était prêt, les
draps mis. Philippe tenait beaucoup à occuper cette chambre, il tenait surtout
à ce que nul autre ne l’occupât.
    Adam Héron se disposait à le
déshabiller.
    — Je crois que je ne me
dévêtirai pas, dit Philippe de Poitiers. Adam, vous allez dépêcher aussitôt un
bachelier vers messire Gaucher de Châtillon pour qu’il soit à m’attendre à
Paris, dès le petit matin, à la porte d’Enfer. Et puis mandez-moi mon barbier
tout à l’heure, car je veux parvenir avec le visage frais. Et aussi ordonnez
qu’on tienne vingt chevaux prêts à partir vers la minuit. Que l’on selle sans
bruit, lorsque mon oncle sera couché. Pour vous, Anseau, ajouta-t-il en se
tournant vers le fils du sénéchal de Joinville, je vous charge d’avertir de mon
départ le comte de Savoie et le dauphin afin qu’ils ne soient pas surpris et ne
croient pas que je me défie d’eux. Restez ici jusqu’au matin en leur compagnie,
et quand mon oncle se réveillera, qu’on l’entoure beaucoup et qu’on le
ralentisse. Faites-lui perdre du temps en route.
    Demeuré seul avec Raoul de Presles,
le comte de Poitiers sembla s’enfoncer dans une méditation silencieuse que le
légiste se garda de troubler.
    — Raoul, dit-il enfin, vous
avez œuvré jour après jour pour mon père, et l’avez connu du plus près. En
cette occasion, comment aurait-il agi ?
    — Il eût fait comme vous,
Monseigneur, je m’en porte garant, et ne vous le dis point par flatterie, mais
parce que je le pense bien. J’ai trop aimé notre Sire Philippe, et enduré trop
de souffrances depuis qu’il n’est plus, pour servir aujourd’hui un prince qui
ne me le rappellerait en tous points.
    — Hélas, hélas, Raoul, je suis
peu de chose auprès de lui. Il pouvait suivre son faucon en l’air, sans jamais
le perdre des yeux, et moi j’ai la vue courte. Il tordait sans peine un fer à
cheval entre ses doigts. Il ne m’a légué ni sa force aux armes, ni cette
apparence de visage qui enseignait à chacun qu’il était roi.
    En parlant, il regardait obstinément
le lit.
    À Lyon il s’était senti régent, avec
une parfaite certitude. Mais, à mesure qu’il se rapprochait de la capitale,
cette assurance, sans qu’il en laissât rien paraître, l’abandonnait un peu. Raoul
de Presles, comme s’il répondait aux questions non formulées, dit :
    — Il n’y a point de précédent à
la situation où nous sommes, Monseigneur. Nous en avons assez débattu depuis
des jours. Dans l’affaiblissement présent du royaume, le pouvoir sera à celui
qui aura l’autorité de le prendre. Si vous y parvenez, la France ne souffrira
pas.
    Peu après il se retira, et Philippe
s’allongea, les yeux fixés sur la petite lampe suspendue entre les courtines.
Le comte de Poitiers n’éprouvait aucune gêne, aucun malaise, à reposer sur
cette couche qui avait eu un cadavre pour dernier usager. Au contraire, il y
puisait de la force, il avait l’impression de se couler dans la forme
paternelle, d’en reprendre la place et les dimensions sur la terre.
« Père, revenez en moi », priait-il, et il demeurait immobile, les
mains croisées sur la poitrine, offrant son corps à la réincarnation d’une âme
depuis vingt mois enfuie.
    Il entendit des pas dans le couloir,
des voix, et son chambellan répondre, à quelqu’un sans doute de la

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