La Loi des mâles
prononcés, ils baissaient la voix, et Marie
se défendait d’écouter leurs chuchotements.
Le comte de Poitiers, arrivant de
Lyon, était annoncé pour le lendemain. Bouville, qui avait souhaité si fort ce
retour, ne savait plus maintenant s’il devait s’en féliciter. Car Monseigneur
de Valois avait décidé de se porter immédiatement à la rencontre de Philippe,
en compagnie du comte de La Marche ; et Bouville montra à Tolomei, par une
fenêtre qui donnait sur les cours, les préparatifs de ce départ. De son côté,
le duc de Bourgogne, arrivé de Dijon, faisait monter la garde par ses propres
gentilshommes autour de sa nièce, la petite Jeanne de Navarre. Un mauvais vent
de révolte soufflait sur la ville, et cette rivalité de régents pouvait aboutir
aux pires calamités. De l’avis de Bouville, on aurait dû nommer la reine
Clémence régente, et l’entourer d’un Conseil de la couronne composé de Valois,
de Poitiers et d’Eudes de Bourgogne.
Si intéressé qu’il fût par les
événements, Tolomei, à plusieurs reprises, tenta de ramener Bouville à l’objet
précis de sa démarche.
— Certes, certes, nous allons
bien veiller sur cette damoiselle, répondait Bouville qui revenait aussitôt à
ses inquiétudes politiques.
Tolomei avait-il des nouvelles de
Lyon ? Le chambellan avait pris familièrement le banquier par l’épaule et
lui parlait presque joue à joue. Comment ? Guccio, mué en conclaviste,
était enfermé avec Duèze ? Ah ! L’habile garçon ! Tolomei
pensait-il pouvoir communiquer avec son neveu ? Si jamais il en recevait
des nouvelles, ou avait moyen de lui en transmettre, qu’il le fît savoir ;
ce truchement pourrait être fort précieux. Quant à Marie…
— Mais oui, mais oui, dit le
curateur. Madame de Bouville, qui est personne de tête, et fort agissante, a
tout arrangé à votre convenance. Soyez sans alarme.
Il appela son épouse, petite femme
maigre, autoritaire, au visage marqué de rides verticales, et dont les mains
sèches ne restaient jamais en repos. Marie, qui s’était sentie jusque-là en
parfaite sécurité, éprouva aussitôt de la crainte et de l’anxiété.
— Ah ! C’est vous dont il
faut abriter le péché, dit madame de Bouville en l’examinant d’un œil sans
bienveillance. Vous êtes attendue au couvent des Clarisses. L’abbesse montrait
peu d’empressement, et moins encore quand je lui ai dit votre nom, car elle
est, par je ne sais quel lien, de votre famille, et votre conduite ne lui plaît
guère. Mais enfin, la faveur dont jouit messire Hugues, mon époux, a pesé son
poids. J’ai crié un peu ; le logis vous sera donné. Je vous y conduirai
avant la nuit.
Elle parlait vite et il n’était pas
facile de l’interrompre. Quand elle reprit son souffle, Marie lui répondit avec
beaucoup de déférence, mais aussi beaucoup de dignité dans le ton :
— Madame, je ne suis point en
état de péché, car j’ai bien été mariée devant Dieu.
— Allons, allons, répliqua
madame de Bouville, ne faites pas regretter les bontés qu’on a pour vous.
Remerciez donc ceux qui s’emploient à vous aider, plutôt que de jouer la
faraude.
Ce fut Tolomei qui remercia, au nom
de Marie. Lorsque celle-ci vit le banquier sur le point de partir, un grand
désarroi la jeta dans les bras de celui-ci, comme s’il avait été son père.
— Faites-moi savoir le sort de
Guccio, lui murmura-t-elle à l’oreille, et faites-lui savoir que je me languis
de lui.
Tolomei s’en alla, et les Bouville
disparurent également. Pour tout l’après-midi, Marie demeura dans leur
antichambre, n’osant bouger et n’ayant d’autre distraction que d’assister,
assise dans l’embrasement d’une fenêtre ouverte, au départ de Monseigneur de
Valois et de son escorte. Le spectacle, pour un moment, la sortit de son
chagrin. Elle n’avait jamais vu si beaux chevaux, si beaux harnais, si beaux
vêtements, et en si grand nombre. Elle pensait aux paysans de Cressay vêtus de
loques, les jambes entourées de bandes de toile, et se disait qu’il était bien
étrange que des êtres qui avaient tous une tête et deux bras, et tous créés par
Dieu à son image, pussent être de races si différentes, si l’on en jugeait par
le costume.
De jeunes écuyers, voyant cette
fille de grande beauté occupée à les regarder, lui adressèrent des sourires et
même lui envoyèrent des baisers. Soudain ils s’empressèrent autour d’un
personnage tout
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