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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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à votre profit toute
la paix du royaume.
    Entre la prudence et l’emportement,
Mahaut hésita une seconde. Mais le mot employé par son gendre, « mes
sujets », qui était parole de roi, la piqua comme un aiguillon ; et
le secret qu’elle gardait si savamment depuis dix semaines fut rompu sur ce
coup de colère.
    — Et d’avoir expédié ton frère
outre, dit-elle en avançant sur lui, n’est-ce donc rien ?
    Philippe n’eut pas de sursaut, ni
d’exclamation ; sa réaction fut d’aller clore les portes. Il verrouilla
les serrures, ôta les clés et les glissa dans sa ceinture. Il n’aimait combattre
qu’en arènes fermées. Mahaut fut prise de frayeur, et plus encore quand elle
aperçut le visage qu’il avait en revenant vers elle.
    — C’était donc vous, dit-il à
mi-voix, et ce qu’on chuchote dans le royaume est vrai !
    Mahaut fit front, selon sa nature
qui était d’attaquer.
    — Et qui vouliez-vous que ce
fût, mon beau fils ? À qui croyez-vous donc devoir la grâce d’être régent
et de pouvoir un jour, peut-être, vous approprier la couronne ?
Allons ! Ne vous donnez point pour si naïf. Votre frère m’avait confisqué
l’Artois ; Valois le montait contre moi, et vous, vous étiez à Lyon, à
vous occuper du pape… toujours ce pape qui vient en mes affaires comme mars en
carême ! Ne faites pas tant le benoît que d’aller me dire que vous
regrettez Louis ! Vous n’aviez guère de tendresse pour lui, vous vous
sentez bien aise que je vous aie fourni toute chaude sa place, en assaisonnant
un peu ses dragées, et sans qu’il en coûte rien à votre conscience. Mais je
n’attendais pas, moi, de vous trouver à mon endroit plus mal disposé que lui.
    Philippe s’était assis, avait croisé
ses longues mains, et réfléchissait. « Il fallait bien en arriver là, un
jour ou l’autre, pensait Mahaut. Dans un sens c’est peut-être un bien ; je
le tiens à présent. »
    — Jeanne sait ? demanda
soudain Philippe.
    — Elle ne sait rien.
    — Qui sait, alors, en dehors de
vous ?
    — Béatrice, ma demoiselle de
parage.
    — C’est trop, dit Philippe.
    — Ah ! ne touchez pas à
celle-là ! s’écria Mahaut. Elle a puissante famille !
    — Certes, une famille qui vous
a fait bien aimer en Artois ! Et hormis cette Béatrice ? Qui vous a
fourni… l’assaisonnement, comme vous appelez cela ?
    — Une magicienne d’Arras que je
n’ai jamais vue, mais que Béatrice connaît. J’ai feint de vouloir me
débarrasser des cerfs qui infestaient mon parc ; j’ai pris soin d’ailleurs
d’en faire crever beaucoup.
    — Il faudrait rechercher cette
femme, dit Philippe.
    — Comprenez-vous maintenant,
reprit Mahaut, que vous ne pouvez point m’abandonner ? Car si l’on croit
que vous me laissez sans appui, mes ennemis vont reprendre courage, les
calomnies redoubler…
    — Les médisances, ma mère, les
médisances… rectifia Philippe.
    — … et si l’on m’accuse de
ce que vous savez, le poids en retombera sur vous, car on ne manquera pas de
dire que je l’ai fait pour votre avantage, ce qui est vrai ; et beaucoup
penseront que j’ai agi sur votre ordre même.
    — Je sais, ma mère, je
sais ; je viens déjà de penser à tout cela.
    — Songez, Philippe, que j’ai
risqué le salut de mon âme à cette entreprise. Ne soyez pas ingrat.
    Philippe eut un ricanement bref,
suivi d’un aussi bref éclat de colère.
    — Ah ! c’en est trop, ma
mère ! Allez-vous demander bientôt que je vous vienne baiser les pieds
pour avoir empoisonné mon frère ? Si j’avais su que la régence était à ce
prix, je ne l’eusse certes pas acceptée ! Je réprouve le meurtre ; il
n’est jamais besoin de tuer pour venir à ses fins ; c’est là moyen de
mauvaise politique, et je vous ordonne, aussi longtemps que je serai votre
suzerain, de n’en plus user.
    Un moment, il eut la tentation de
l’honnêteté. Réunir le Conseil des Pairs, dénoncer le crime, demander le
châtiment… Mahaut, qui le devina agité de ces pensées, passa de pénibles
instants. Mais Philippe ne s’abandonnait guère à ses impulsions, même
vertueuses. Agir comme il l’imaginait, c’était jeter le discrédit sur sa femme
et sur lui-même. Et de quelles accusations Mahaut, pour se défendre, ou pour
perdre avec elle qui ne l’aurait pas défendue, ne serait-elle capable ?
Les querelles renaîtraient forcément autour des règlements de régence. Philippe
avait

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