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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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écrasées, l’une reine et
l’autre obscure.
    Le lendemain des obsèques du faux
Jean I er à Saint-Denis, Madame Clémence de Hongrie, dont chacun
s’attendait à ce qu’elle rendît l’âme, était remontée faiblement à la
conscience et à la vie. Quelque remède enfin s’était montré efficace ; la
fièvre et l’infection se retiraient de ce corps, comme pour laisser la place à
d’autres peines. Les premières paroles que prononça la reine furent pour
demander son fils, qu’elle avait à peine eu le temps d’entrevoir. Son souvenir
ne lui représentait qu’un petit corps nu qu’on frictionnait à l’eau de rose et
qu’on déposait dans un berceau…
    Lorsqu’on lui fit savoir, avec mille
ménagements, qu’on ne pouvait pas le lui montrer aussitôt, elle murmura :
    — Il est mort, n’est-ce
pas ? Je le savais. Je l’ai senti, dans ma fièvre… Cela aussi devait
arriver…
    Elle n’eut pas la réaction
foudroyante qu’on redoutait. Elle resta prostrée, mais sans larmes, avec sur le
visage cette expression d’ironie tragique qu’ont certaines gens à la fin d’un
incendie, devant les cendres fumantes de leur demeure. Ses lèvres s’écartèrent
comme pour rire, et pendant quelques instants on la crut démente.
    Le malheur avait mis de l’excès à
s’acharner sur elle ; il y avait des places mortes dans cette âme, et le
sort pouvait y frapper à coups redoublés sans plus en tirer de souffrance.
    Bouville, devant elle, se voyait
condamné à une mensongère mission de consolateur impuissant. Chaque mot
d’amitié que lui adressait la reine le torturait de remords.
    « Son enfant vit, et je ne dois
pas le lui dire. Quand je pense que je pourrais lui donner si grande
joie !…»
    Vingt fois, la pitié, et même la
simple honnêteté, faillirent l’emporter. Mais madame de Bouville, le sachant d’âme
faible, ne le laissait jamais seul auprès de la reine.
    Au moins put-il se soulager à moitié
en accusant Mahaut, la réelle coupable.
    La reine haussa les épaules. Que lui
importait la main dont les forces du mal s’étaient servies pour
l’atteindre ?
    — J’ai été pieuse, j’ai été
bonne ; du moins je crois l’avoir été, disait-elle ; je me suis
efforcée de suivre les ordonnances de la religion et d’amender ceux qui
m’étaient chers. Je n’ai jamais souhaité peine à quiconque. Et Dieu s’est
employé à me meurtrir plus qu’aucune de ses créatures… Or je vois des méchants
triompher en tout.
    Elle ne se révoltait pas, ni ne
blasphémait non plus ; elle constatait simplement une sorte de monumentale
erreur.
    Son père et sa mère avaient été
enlevés par la peste lorsqu’elle avait à peine deux ans. Tandis que toutes les
princesses de sa famille, ou presque, recevaient établissement dès avant leur
nubilité, elle avait attendu un parti jusqu’à l’âge de vingt-deux ans. Celui
qui s’était offert, inespéré, paraissait le plus haut du monde. À ce mariage
avec la France, elle était arrivée éblouie, éperdue d’un amour irréel, et
pétrie de toutes les intentions du bien. Avant même d’aborder à son nouveau
pays, elle avait manqué périr en mer. Au bout de quelques semaines, elle
découvrait qu’elle avait épousé un assassin et succédé à une reine étranglée.
Après dix mois elle restait veuve, et enceinte. Aussitôt éloignée du pouvoir,
on l’avait séquestrée sous prétexte de la défendre. Elle venait pendant huit
jours de se débattre aux portes du trépas pour apprendre, à peine sortie de cet
enfer, que son enfant était mort, empoisonné sans doute comme son mari l’avait
été.
    — Les gens de mon pays croient
au mauvais sort. Ils ont raison. J’ai le mauvais sort, dit-elle. Je me dois
interdire de plus rien entreprendre et de me fier à rien, pas même à Dieu.
    Amour, charité, espérance, elle
avait épuisé toutes les réserves de vertus qu’elle possédait, et la foi du même
coup se retirait d’elle.
    Elle avait subi pendant sa maladie
de telles tortures, et si fort éprouvé l’impression d’agonie, que de se sentir
vivante, de respirer sans peine, de s’alimenter, de poser son regard sur des
murs, des meubles, des visages, lui semblait surprenant et lui procurait les
seules émotions dont son âme aux trois quarts détruite fût encore capable.
    À mesure que se déroulait sa lente
convalescence, et qu’elle retrouvait sa légendaire beauté, la reine Clémence se
mit à développer

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