La Loi des mâles
voir
apparaître les souverains ou pour s’ébahir devant le char de la reine, un char
tendu d’écarlate vermeille. La reine Jeanne, environnée de ses dames de parage,
présidait, avec une agitation de femme comblée, au déballage des douze malles,
des quatre bahuts, du coffre à chaussures, du coffre à épices. Sa garde-robe
était à coup sûr la plus belle qu’ait jamais eue dame de France. Un vêtement
particulier avait été prévu pour chaque jour et presque chaque heure de ce
voyage triomphal.
Sous une chape de drap d’or fourrée
d’hermine, la reine avait fait son entrée solennelle en la ville, tandis que le
long des rues on offrait aux époux royaux des représentations, mystères et divertissements.
Au souper de veille du sacre, qui aurait lieu tout à l’heure, la reine
paraîtrait dans une robe de velours violet bordée de menu-vair. Pour le matin
du couronnement elle avait une robe de drap d’or de Turquie, un manteau
d’écarlate et une cotte vermeille ; pour le dîner, une robe brodée aux
armes de France ; pour le souper, une robe de drap d’or, et deux manteaux
d’hermine différents.
Le lendemain elle porterait une robe
de velours vert, et ensuite une autre de camocas azurée avec pèlerine de petit-gris.
Jamais elle ne se produirait en public dans la même parure, ni sous les mêmes
joyaux [24] .
Ces merveilles s’étalaient dans une
chambre dont la décoration avait été également apportée de Paris :
tentures de soie blanche brodées de treize cent vingt et un perroquets d’or,
avec au centre les grandes armes des comtes de Bourgogne où passait un lion de
gueules ; ciel de lit, courtepointe et coussins étaient ornés de sept
mille trèfles d’argent. Sur le sol avaient été jetés des tapis aux armes de France
et de Bourgogne-Comté.
À plusieurs reprises Jeanne était
entrée dans l’appartement de Philippe afin de faire admirer à celui-ci la
beauté d’une étoffe, la perfection d’un travail.
— Mon cher Sire, mon bien-aimé,
s’écriait-elle, que vous me faites heureuse !
Si peu encline qu’elle fût aux
démonstrations vives, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir les yeux humides. Son
propre sort l’éblouissait, surtout lorsqu’elle se rappelait le temps récent où
elle se trouvait en prison, à Dourdan. Quel prodigieux retour de fortune, en
moins d’un an et demi ! Elle songeait à Marguerite la morte, elle songeait
à sa sœur Blanche de Bourgogne, toujours enfermée à Château-Gaillard…
« Pauvre Blanche, qui aimait tant les parures ! » pensait-elle
en essayant une ceinture d’or incrustée de rubis et d’émeraudes.
Philippe était soucieux, et les
enthousiasmes de sa femme l’assombrissaient plutôt ; il examinait les
comptes avec son grand argentier.
— Je suis fort aise, ma bonne
mie, que tout ceci vous complaise, finit-il par répondre. Voyez-vous, j’agis
selon l’exemple de mon père qui, comme vous l’avez connu, était fort mesuré en
sa dépense personnelle mais ne lésinait point lorsqu’il s’agissait de la
majesté royale. Montrez bien ces beaux habits, car ils sont pour le peuple qui
vous les donne sur son labeur, tout autant que pour vous ; et prenez-en
grand soin, car vous ne pourrez de sitôt en avoir de pareils. Après le sacre,
il faudra nous restreindre.
— Philippe, demanda Jeanne, ne
ferez-vous rien en ce jour pour ma sœur Blanche ?
— J’ai fait, j’ai fait. Elle
est à nouveau traitée en princesse, sous la réserve qu’elle ne sorte pas des
murailles où elle est. Il faut qu’il y ait une différence entre elle qui a
péché et vous, Jeanne, qui fûtes toujours pure et qu’on a faussement accusée.
Il avait prononcé ces dernières
paroles en portant sur sa femme un regard où se lisait davantage le souci de
l’honneur royal que la certitude de l’amour.
— Et puis, ajouta-t-il, son
mari ne me cause guère de joie, en ce moment. C’est un bien mauvais frère que j’ai
là !
Jeanne comprit qu’il serait vain
d’insister et qu’elle aurait avantage à ne pas revenir sur le sujet. Elle se
retira, et Philippe se remit à l’étude des longues feuilles chargées de
chiffres que lui présentait Geoffroy de Fleury.
Les frais ne se limitaient pas aux
seuls vêtements du roi et de la reine. Certes Philippe avait reçu quelques
présents ; ainsi Mahaut avait offert le drap marbré pour les robes des
petites princesses et du jeune Louis-Philippe.
Mais le roi était tenu
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