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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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quelque
temps ; et il doit se préparer là-bas bon nombre de petits valets qui ne
sauront jamais qu’ils descendent de Philippe Auguste. Mais j’ai constaté une
chose étrange, que les docteurs et philosophes, ces rats, devraient méditer.
Pourquoi est-il un membre chez l’homme qui, plus on lui fournit de besogne, plus
il en réclame ?
    Il eut un grand rire, fit craquer
une cathèdre de chêne en s’y asseyant, et soudain parut remarquer la présence
de Guccio.
    — Et vous, mon gentillet,
comment vont vos amours ? demanda-t-il, ce qui signifiait, dans sa bouche,
rien de plus que « bonjour ».
    — Mes amours ! Parlons-en,
Monseigneur ! répondit Guccio mécontent de cette violence plus bruyante
qui interrompait la sienne.
    Tolomei, d’une grimace, fit signe au
comte d’Artois que le sujet n’était guère d’à-propos.
    — Eh quoi ! s’écria d’Artois
avec sa délicatesse coutumière ; une belle vous a quitté ? Donnez-moi
vite son adresse, j’y cours ! Allons, ne prenez point cette triste
face ; toutes les femmes sont des catins.
    — Ah ! certes ;
Monseigneur ; toutes !
    — Alors !… Ébattons-nous
au moins avec des catins franches ! Banquier, il me faut de l’argent. Cent
livres. Et j’emmène ton neveu souper avec moi, pour lui tirer de la tête ses
idées noires. Cent livres !… Oui, je sais, je sais, je vous dois déjà
beaucoup et vous vous dites que je ne vous paierai jamais ; vous avez
tort. Avant peu vous verrez Robert d’Artois plus puissant que jamais. Le
Philippe peut bien se faire enfoncer la couronne jusqu’au nez ; je ne
tarderai pas à le décoiffer. Car je vais t’apprendre une chose, qui vaut plus
de cent livres, et qui va te servir fort pour prendre garde à qui tu prêtes…
Comment punit-on le régicide ? Pendaison, décollation, écartèlement ?
Vous assisterez bientôt à un plaisant spectacle : ma grosse tante Mahaut,
nue comme ribaude, étirée par quatre chevaux et ses vilaines tripes déroulées
dans la poussière. Et son blaireau de gendre lui tiendra compagnie ! Le
dommage sera qu’on ne puisse les supplicier deux fois. Car ils en ont tué deux,
les scélérats. Je n’ai rien dit tant que j’étais au Châtelet, pour qu’on ne
vienne pas une belle nuit me saigner comme un porc. Mais j’ai pu me faire tenir
au courant. Lormet… toujours mon Lormet ; ah ! le brave homme !…
Écoutez-moi.
    Après sept semaines de mutisme
forcé, le terrible bavard se rattrapait et ne reprenait son souffle que pour
parler davantage.
    — Écoutez-moi bien,
poursuivit-il. Un : le roi Louis confisque à Mahaut ses possessions
d’Artois, où mes partisans s’échauffent ; aussitôt Mahaut le fait
empoisonner. Deux : Mahaut, pour se couvrir, pousse Philippe à la régence
contre Valois qui, lui, est prêt à soutenir mon droit. Trois : Philippe
fait accepter son règlement de succession qui exclut les femmes de la couronne
de France, mais non de l’héritage des fiefs, vous pensez bien !
Quatre : étant confirmé régent, Philippe peut lever l’ost pour me déloger
de l’Artois que je suis sur le point de regagner entièrement. Pas fol, je viens
me rendre seul. Mais la reine Clémence va accoucher ; on veut avoir les
mains libres ; on m’incarcère. Cinq : la reine met au monde un fils.
Peccadille ! On ferme Vincennes, on cache l’enfant aux barons, on raconte
qu’il n’est pas né viable, on s’acoquine avec quelque ventrière ou nourrice
qu’on effraie ou qu’on soudoie, et l’on tue un deuxième roi. Après quoi, on va
se faire sacrer à Reims. Voilà, mes amis, comment s’obtient une couronne. Tout
cela pour ne pas me rendre mon comté.
    Au mot de « nourrice »,
Tolomei et Guccio avaient échangé un bref regard d’inquiétude.
    — Ce sont choses que tout un
chacun pense, acheva d’Artois, mais que nul n’ose proclamer faute de preuves.
Seulement j’ai la preuve, moi ! Je vais maintenant produire une certaine
dame qui a fourni le poison. Et puis après il faudra faire un peu chanter, dans
des brodequins de bois, la Béatrice d’Hirson qui a servi de maquerelle du
diable en ce beau jeu. Il est temps d’y mettre fin, sinon nous allons tous y
passer.
    — Cinquante livres,
Monseigneur ; je puis vous remettre cinquante livres.
    — Avare !
    — C’est tout ce que je puis.
    — Soit. Tu m’en devras donc
cinquante autres. Mahaut te paiera tout cela, avec les intérêts.
    — Guccio, dit Tolomei,

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