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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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là, comme un petit bâtard. Il ferait ses premiers pas dans la cour boueuse,
parmi les canards, il irait rouler dans la prairie aux iris jaunes, le long de
la Mauldre, dans cette prairie, où Marie, chaque fois qu’elle y marcherait,
revivrait ses brèves et tragiques amours. Elle tiendrait son serment, tous ses
serments, envers Guccio comme envers le royaume, garderait son secret, tous ses
secrets, jusqu’à son lit de mort. Sa confession, un jour, troublerait l’Europe.
     

IX

LA VEILLE DU SACRE
    Les portes de Reims, surmontées des
armoiries royales, avaient été repeintes à neuf. Les rues étaient encourtinées
de draperies éclatantes, de tapis et de soieries, les mêmes qui avaient servi
dix-huit mois auparavant, pour le sacre de Louis X. Auprès du palais
archiépiscopal, trois grandes salles de charpenterie venaient d’être édifiées à
la hâte : l’une pour la table du roi, l’autre pour la table de la reine,
la troisième pour les grands officiers, afin de donner festin à toute la cour.
    Les bourgeois de Reims, qui étaient
astreints aux dépenses du sacre, trouvaient la charge un peu lourde.
    — Si l’on se met à mourir si
vite au trône, disaient-ils, nous ne ferons bientôt plus qu’un seul repas l’an,
pour lequel il nous faudra vendre nos chemises ! Clovis nous coûte gros de
s’être fait administrer le baptême chez nous et Hugues Capet d’avoir choisi d’y
recevoir la couronne ! Si quelque autre ville du royaume veut nous acheter
la sainte ampoule, nous conclurions bien le marché.
    Aux gênes de trésorerie s’ajoutait
la difficulté de réunir, en plein hiver, le ravitaillement somptuaire
nécessaire à tant de bouches. Et les bourgeois rémois d’énumérer
quatre-vingt-deux bœufs, deux cent quarante moutons, quatre cent vingt-cinq
veaux, soixante-dix-huit porcs, huit cents lapins et lièvres, huit cents
chapons, mille huit cent vingt oies, plus de dix mille poules et de quarante mille
œufs, sans parler des barils d’esturgeons qu’on avait dû faire venir de
Malines, des quatre mille écrevisses pêchées en eau froide, des saumons,
brochets, tanches, brèmes, perches et carpes, des trois mille cinq cents
anguilles destinées à la fabrication de cinq cents pâtés. On disposait de deux
mille fromages, et l’on espérait que trois cents tonneaux de vin, celui-ci
heureusement produit par le pays, suffiraient à abreuver tant de gueules
assoiffées qui allaient banqueter là pendant trois jours ou plus.
    Les chambellans, arrivés à l’avance
pour régler l’ordonnance des fêtes, montraient de singulières exigences.
N’avaient-ils pas décidé qu’on présenterait, à un seul service, trois cents
hérons rôtis ? Ces officiers ressemblaient bien à leur maître, à ce roi
pressé qui commandait son sacre d’une semaine sur l’autre, pour ainsi dire,
comme s’il s’agissait d’une messe de deux liards à l’intention d’une jambe
cassée ! Depuis des jours, les pâtissiers montaient leurs châteaux forts
en pâte d’amandes peints aux couleurs de France.
    Et la moutarde ! On n’avait pas
reçu la moutarde ! Il en fallait trente et un setiers. Et puis les
convives n’allaient pas manger dans le creux de la main. On avait eu bien tort
de vendre à vil prix les cinquante mille écuelles de bois du sacre
précédent ; il eût été plus profitable de les laver et de les garder. Pour
les quatre mille cruches, elles avaient été cassées ou volées. Les lingères
ourlaient à la hâte deux mille six cents aunes de nappes, et l’on pouvait
compter que la dépense totale s’élèverait à près de dix mille livres.
    À vrai dire, les Rémois y
trouveraient tout de même leur compte, car le sacre avait attiré force
marchands lombards et juifs qui payaient taxe sur leurs ventes.
    Le couronnement, comme toutes les
cérémonies royales, se déroulait dans une ambiance de kermesse. C’était un
spectacle ininterrompu qu’on offrait au peuple en ces journées-là, et qu’on
venait voir de loin. Les femmes se voulaient parées de robes neuves ; les
galants ne rechignaient pas à la joaillerie ; la broderie, les beaux
draps, les fourrures, se vendaient sans peine. La fortune était aux habiles, et
les boutiquiers qui montraient un peu de hâte à servir la pratique pouvaient,
en une semaine, se faire leur aisance pour cinq ans.
    Le nouveau roi logeait au palais
archiépiscopal devant lequel la foule stationnait en permanence pour

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