La Louve de France
le Lord au Tors-Col à cause qu’il a la tête plantée de travers,
était en marche pour nous rencontrer, avec une armée de barons et chevaliers et
autres hommes levés sur leurs terres, et aussi les Lords évêques de Hereford,
Norwich et Lincoln, pour se mettre tous au service de la reine, ma Dame
Isabelle. Et Monseigneur de Norfolk, maréchal d’Angleterre, s’annonçait pour sa
part, et dans les mêmes intentions, avec ses troupes vaillantes.
« Nos bannières et celles des
Lords de Lancastre et de Norfolk se sont rejointes en une place nommée
Bury-Saint-Edmonds où il y avait marché justement ce jour-là qui se tenait à
même les rues.
« La rencontre se fit dans une
liesse que je ne puis vous peindre. Les chevaliers sautant à bas de leurs
destriers, se reconnaissant, s’embrassant à l’accolade ; Monseigneur de
Kent et Monseigneur de Norfolk, poitrine sur poitrine, et tout en larmes comme
de vrais frères longtemps séparés, et messire de Mortimer en faisant autant
avec le seigneur évêque de Hereford, et Monseigneur au Tors-Col baisant aux
joues le prince Édouard, et tous courant au cheval de la reine pour fêter
celle-ci et poser les lèvres à la frange de sa robe. Ne serais-je venu au
royaume d’Angleterre que pour voir cela, tant d’amour et de joie se pressant
autour de ma Dame Isabelle, je me sentirais assez payé de mes peines. D’autant
que le peuple de Saint-Edmonds, abandonnant ses volailles et légumes étalés à
l’éventaire, s’était joint à l’allégresse et qu’il parvenait sans cesse du
monde de la campagne alentour.
« La reine m’a présenté, avec
force compliments et gentillesse, à tous les seigneurs anglais ; et puis
j’avais, pour me désigner, nos mille lances de Hollande derrière moi, et j’ai
fierté, mon très aimé frère, de la noble figure que nos chevaliers ont montrée
devant ces seigneurs d’outremer.
« La reine n’a pas manqué non
plus de déclarer à tous ceux de sa parenté et de son parti que c’était grâce au
Lord Mortimer qu’elle était ainsi de retour et si fortement appuyée ; elle
a hautement loué les services de Monseigneur de Mortimer, et ordonné qu’on se
conformât en tout à son conseil. D’ailleurs ma Dame Isabelle elle-même ne prend
aucun décret sans s’être auparavant consultée à lui. Elle l’aime et en fait
devanture ; mais ce ne peut être que de chaste amour, quoi qu’en
prétendent les langues toujours prêtes à médire, car elle mettrait plus de soin
à dissimuler s’il en était autrement ; et je sais bien aussi, aux yeux
qu’elle a pour moi, qu’elle ne pourrait me regarder de telle sorte si sa foi
n’était libre. J’avais craint un peu à Walton que leur amitié, pour un motif
que je ne sais, se fût refroidie un petit ; mais tout prouve qu’il n’en
est rien et qu’ils restent bien unis, de laquelle chose je me réjouis, car il
est naturel qu’on aime ma Dame Isabelle pour toutes les belles et bonnes
qualités qu’elle a ; et je voudrais que chacun lui montrât même amour que
celui que je lui dévoue.
« Les seigneurs évêques ont
apporté des fonds avec eux, à suffisance, et promis qu’ils en recevraient
d’autres collectés dans leurs diocèses, et ceci m’a bien rassuré quant à la
solde de nos Hennuyers pour lesquels je craignais que les aides lombardes de
messire de Mortimer ne fussent trop vite épuisées. Ce que je vous conte s’est
passé le vingt-huitième jour de septembre.
« À partir de là, où nous nous
remîmes en marche, ce fut une avance en grand triomphe à travers la ville de
Neuf-Market, nombreusement fournie d’auberges et allégements, et la noble cité
de Cambridge où tout le monde parle latin que c’est merveille et où l’on compte
plus de clercs, en un seul collège, que vous n’en pourriez assembler en tout
votre Hainaut. Partout l’accueil du peuple comme celui des seigneurs nous a
prouvé assez que le roi n’était pas aimé, que ses mauvais conseillers l’ont
fait haïr et mépriser ; aussi nos bannières sont saluées au cri de
« délivrance » !
« Nos Hennuyers ne s’ennuient
pas, selon ce qu’a dit messire Henry au Tors-Col qui use, ainsi que vous voyez,
de la langue française avec gentillesse, et dont cette parole, lorsqu’elle
m’est revenue aux oreilles, m’a fait rire de joie tout un grand quart d’heure,
et que j’en ris encore à chaque fois que d’y repenser ! Les filles
d’Angleterre sont
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