La Louve de France
commission tant attendue. Son humeur alors acheva de se transformer et il
parut ne plus faire de doute pour lui que la guerre fût comme déjà gagnée.
Deux jours plus tard, Mathieu de
Trye, le maréchal survivant, Pierre de Cugnières et Alphonse d’Espagne,
précédés de busines sonnantes et de la bannière blanche des parlementaires,
s’avancèrent jusqu’au pied des murs de La Réole pour faire sommation au comte de
Kent, d’ordre du puissant et haut seigneur Charles, comte de Valois, lieutenant
du roi de France en Gascogne et Aquitaine, d’avoir à se rendre et remettre en
leurs mains tout le duché pour faute de foi et hommage non rendu.
À quoi le sénéchal Basset, se hissant
sur la pointe des pieds pour apparaître aux créneaux, répondit, d’ordre du haut
et puissant seigneur Edmond, comte de Kent, lieutenant du roi d’Angleterre en
Aquitaine et Gascogne, que la sommation était irrecevable et que le comte ne
quitterait la ville ni ne remettrait le duché, sauf à être délogé par la force.
La déclaration de siège ayant été
faite dans les règles, chacun retourna à ses tâches.
Monseigneur de Valois mit à
l’ouvrage les trente mineurs prêtés à lui par l’évêque de Metz. Ces mineurs devaient
percer des galeries souterraines jusque sous les murs, puis y placer des barils
de poudre auxquels on mettrait le feu. L’ingeniator Hugues, qui appartenait au
duc de Lorraine, promettait miracle de cette opération. Le rempart s’ouvrirait
comme une fleur au printemps.
Mais les assiégés, alertés par les
coups sourds, disposèrent des récipients pleins d’eau sur les chemins de ronde.
Et là où ils virent à la surface de l’eau se former des rides, ils surent que
les Français, en dessous, creusaient une sape. Ils en firent autant de leur
côté, travaillant la nuit, alors que les mineurs de Lorraine travaillaient de
jour. Un matin, les deux galeries s’étant rejointes, il se passa sous terre, à
la lueur des lumignons, une atroce boucherie dont les survivants ressortirent
couverts de sueur, de poussière sombre et de sang, le regard affolé comme s’ils
remontaient des enfers.
Alors, les plates-formes de tir
étant prêtes, Monseigneur de Valois décida d’utiliser ses bouches à feu.
C’étaient de gros tuyaux de bronze
épais, cerclés de fer, et reposant sur des affûts de bois sans roue. Il fallait
dix chevaux pour traîner chacun de ses monstres, et vingt hommes pour les
pointer, les caler, les charger. On construisait autour une sorte de caisse,
faite d’épais madriers, et destinée à protéger les servants dans le cas où
l’engin éclaterait.
Ces pièces venaient de Pise. Les
servants italiens les appelaient bombarda à cause du bruit qu’elles faisaient.
Tous les grands seigneurs, tous les
chefs de bannières, s’étaient réunis pour voir fonctionner les bombardes. Le
connétable Gaucher haussait les épaules et déclarait, l’air bougon, qu’il ne
croyait pas aux vertus destructrices de ces machines. Pourquoi toujours faire
confiance à des « novelletés », alors qu’on pouvait se servir de bons
mangonneaux, trébuchets et perrières qui, depuis des siècles, avaient produit
leurs preuves ? Pour réduire les villes qu’il avait prises, lui,
Châtillon, avait-il eu besoin des fondeurs de Lombardie ? Les guerres se
gagnaient par la vaillance des âmes et la force des bras, et non point par
recours à des poudres d’alchimistes qui sentaient un peu trop le soufre de
Satan !
Les servants avaient allumé auprès
de chaque engin un brasero où rougissait une broche de fer. Puis, ayant
introduit la poudre à l’aide de grandes cuillers de fer battu, ils chargèrent
chaque bombarde, d’abord d’une bourre d’étoupe, ensuite d’un gros boulet de
pierre de près de cent livres, tout cela entonné par la gueule. Un peu de
poudre fut déposé dans une gorge ménagée sur le dessus des culasses et qui
communiquait par un mince orifice avec la charge intérieure.
Tous les assistants furent invités à
se retirer de cinquante pas. Les servants des pièces se couchèrent, les mains
sur les oreilles ; un seul servant resta debout auprès de chaque bombarde
pour mettre le feu à la poudre à l’aide des longues broches de fer rougies au
feu. Et aussitôt que cela fut fait, il se jeta au sol et s’aplatit contre la
caisse de l’affût.
Des flammes rouges jaillirent et la
terre trembla. Le bruit roula dans la vallée de la Garonne et s’entendit
Weitere Kostenlose Bücher