La Louve de France
conseil,
Montpezat ? demanda le comte de Kent.
— À regret, Monseigneur,
oh ! bien à regret, répondit le baron de Montpezat en mordant ses noires
moustaches.
— Et vous, Bergerac ?
questionna encore Kent.
— J’en ai les larmes de rage,
dit Pons de Bergerac avec l’accent bien chantant qu’avaient tous les seigneurs
de la région.
Edmond de Kent se dispensa
d’interroger les barons de Budos et de Fargues de Mauvezin ; ceux-là ne
parlaient ni le français, ni l’anglais, mais seulement le gascon, et Kent ne
comprenait rien à leurs palabres. Leurs visages d’ailleurs fournissaient
suffisante réponse.
— Alors faites fermer les
portes, messire sénéchal, et installons-nous pour être assiégés. Et puis quand
les renforts arriveront, ils prendront les Français à revers, et ce sera
peut-être mieux ainsi, dit le comte de Kent pour se consoler.
Il gratta du bout des doigts le
front de son lévrier, et puis se réaccouda aux pierres tièdes pour observer la
vallée. Un vieil adage disait : « Qui tient La Réole tient la
Guyenne. » On tiendrait le temps qu’il faudrait.
Une avance trop aisée est presque
aussi épuisante, pour une troupe, qu’une retraite. Faute de trouver devant soi
une résistance qui permît de s’arrêter, fût-ce une journée, et de reprendre
haleine, l’armée de France marchait, marchait, sans relâche, depuis plus de
trois semaines, depuis vingt-cinq jours exactement. Le grand ost, bannières,
armures, goujats, archers, chariots, forges, cuisines, et puis les marchands et
les bordeliers à la suite, s’étirait sur plus d’une lieue. Les chevaux
blessaient au garrot, et il ne se passait pas de quart d’heure que l’un ne se
déferrât. Beaucoup de chevaliers avaient dû renoncer à porter leurs cuirasses
qui, la chaleur aidant, leur provoquaient plaies et furoncles aux jointures. La
piétaille traînait ses lourds souliers cloutés. En plus, les belles prunes
noires d’Agen, qui semblaient mûres sur les arbres, avaient purgé avec violence
les soldats assoiffés et chapardeurs ; on en voyait qui quittaient la
colonne à tout instant pour aller baisser leurs chausses le long du chemin.
Le connétable Gaucher de Châtillon
somnolait le plus qu’il pouvait, à cheval. Près de cinquante ans de métier des
armes et huit guerres ou campagnes lui en avaient donné l’entraînement.
— Je vais dormir un petit,
annonçait-il à ses deux écuyers.
Ceux-ci, réglant le pas de leurs
montures, venaient se placer de part et d’autre du connétable, de façon à bien
l’encadrer pour le cas où il aurait glissé de côté ; et le vieux chef, les
reins appuyés au troussequin, ronflait dans son heaume.
Robert d’Artois suait sans maigrir
et répandait à vingt pas une odeur de fauve. Il avait fait amitié avec un des
Anglais qui suivaient Mortimer, ce long baron de Maltravers qui ressemblait à
un cheval, et il lui avait même offert de marcher dans sa bannière parce que
l’autre était fort joueur et toujours prêt, aux haltes, à manier le cornet de
dés.
Charles de Valois ne décolérait pas.
Entouré de son fils d’Alençon, de son neveu d’Évreux, des deux maréchaux
Mathieu de Trye et Jean des Barres, et de son cousin Alphonse d’Espagne, il
s’emportait contre tout, contre le climat intolérable, contre la touffeur des
nuits et la fournaise des jours, contre les mouches, contre la nourriture trop
grasse. Le vin qu’on lui servait n’était que piquette de manant. Pourtant on
était dans un pays de crus fameux ? Où donc ces gens-là cachaient-ils
leurs bonnes barriques ? Les œufs avaient mauvais goût, le lait était
aigre. Monseigneur de Valois se réveillait parfois avec des nausées, et depuis
quelques jours il éprouvait dans la poitrine une douleur sournoise qui
l’inquiétait. Et puis la piétaille n’avançait pas, non plus que les grosses
bouches à poudre fournies par les Italiens et dont les patins de bois
semblaient coller aux chemins. Ah ! si l’on avait pu faire la guerre
seulement avec la chevalerie !…
— Il semble que je sois voué au
soleil, disait Valois. Ma première campagne, quand j’avais quinze ans, je l’ai
faite ainsi, mon cousin Alphonse, par une chaleur brûlante, dans votre Aragon
pelé, dont je fus un moment roi, contre votre grand-père.
Il s’adressait à Alphonse d’Espagne,
héritier du trône d’Aragon, lui rappelant sans ménagement les luttes qui
avaient divisé leurs familles.
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